La tolérance idéologique et la tolérance chrétienne

I.- « – La tolérance, la tolérance, il y a des maisons pour cela ! ». Tout le monde connaît cette boutade, que les uns attribuent à Claudel, et les autres à Clemenceau. Peu importe sa paternité. Ce qui compte ici, c’est la signification du mot. Car il en est de ce terme comme d’une multitude d’autres qui, avec le temps, ont glissé de sens. La différence est que certains de ces glissements ne portent pas à conséquences, d’autres si. Tel est le cas pour la tolérance.

Dans une société qui se pique de n’avoir plus ni morale ni Dieu, la Tolérance a paradoxalement été élevée au rang des divinités séculières, avec la Liberté, la Démocratie ou d’autres de leurs sœurs. Elle a ses liturges, ses hiérophantes et ses sycophantes. Elle est la déesse au pied léger qui préside aux destinées de la cité. Elle est tout à la fois déité et vertu théologale, et ce n’est pas sans raison qu’elle vient à croiser les voies de la charité chrétienne, pour se gonfler de cette fréquentation.

Comme vertu supposée, elle a son contraire : l’intolérance, qui n’est pas seulement vice personnel mais vice social. L’intolérant n’est pas seulement un méchant homme ; il est un péril social. C’est pourquoi il doit être dénoncé, et publiquement fustigé. La loi et les tribunaux s’y emploient désormais.

Il n’est assurément pas question ici de retracer l’historique ou l’évolution de ce terme, spécialement depuis la Réforme à notre âge de la Pensée molle, en passant par les Lumières du XVIIIe siècle. Retenons seulement deux traits de cette tolérance avant d’opérer un rappel.

II.- Pour les modernes, la tolérance repose tout d’abord sur un indifférentisme à l’égard des comportements et des opinions, auxquels sont donnés une égale valeur. Il n’y a pas de vrai ou de faux qui puisse les distinguer, pas de morale universelle pour les hiérarchiser et permettre de tenir ceux-ci pour bons et ceux-là pour mauvais. En cet ordre, les “valeurs” de “Pierre” ne sont pas supérieures à celle de “Jacques” ; si elles sont distinctes, elles sont simplement autres, c’est tout. Elles sont égales. Ce qui peut seul leur donner de la valeur, c’est leur poids. Et ce poids se mesure au nombre de ceux qui les partagent. La tolérance tourne alors en obligation sociale à proportion  de l’étendue de ce partage, et l’intolérance caractérise celui qui se soustrait du solde de cette mathématisation éthique. Dans notre société, par exemple, nous sommes déjà passés de la tolérance des comportements homosexuels comme une option comportementale possible à la contrainte de les accepter comme tels, sous peine de sanction pénale.

Le second caractère de la tolérance moderne, tient au fait qu’elle entretient, consciemment ou non, une confusion nécessaire entre les actes et les personnes. Celui qui exprime la pensée que tels comportements sont contraires à une morale objective, universelle, est accusé de juger leurs auteurs. C’est pourquoi le christianisme, qui s’autorise des jugements de valeur, est réputé être intolérant, fanatique. Cette confusion permet de dissoudre les résistances possibles. Qui, en effet, souhaiterait être publiquement fustigé comme un intolérant !?  L’idéal est donc de n’être jamais pris en défaut ; et pour ne pas juger, il faut accepter, car le rapport entre acte et personne est à double sens : si j’accepte l’acte, alors je ne puis être soupçonné de juger son auteur. Mme Morano a récemment illustré cet idéal de gastéropode à propos des unions homosexuelles : « Certes ma vision du mariage est celle d’une union entre un homme et une femme. Mais si on veut respecter l’amour, alors l’amour peut être une belle histoire entre deux personnes de même sexe. Je me refuse à juger ». Personne n’avait évidemment demandé à Mme Morano de juger qui que ce soit, mais c’est égal : la vertu est supposée être ainsi de son côté, « parce qu’elle ne juge pas ».

Remettons un peu les pendules à l’heure. Et rappelons ce qu’est la tolérance pour un chrétien.

III.- Tolérer, c’est supporter un mal que l’on ne pourrait empêcher sans risquer de créer un mal plus grand. La tolérance est ainsi, principalement, un comportement de gouvernant, que l’on se gouverne soi-même ou que l’on gouverne autrui. Elle ne consiste aucunement à accepter un mal, moins encore à lui reconnaître un droit quelconque au milieu d’autres droits légitimes. Elle consiste à se résoudre à le subir, pour la préservation du bien plus grand de la cité.

La tolérance, de ce point de vue, n’est pas une vertu. Elle est dictée par la vertu, qui est, principalement, la prudence, au regard du bien à sauvegarder. Elle est, sous ce rapport, un moindre mal. Cela ne signifie pas qu’un mal soit choisi pour lui-même, mais qu’il est jugé bon de le supporter pour la préservation d’un bien.

On ne construit pas une politique sociale par validations successives de comportements tolérés qui ne laissent pas d’être des maux, pour les imposer, finalement, à la société toute entière comme des idéaux de convivialité. L’agir humain doit être gouverné par la raison droite, et celle-ci est mesurée par le vrai et par le bien.

Contre l’idéal de gastéropode ambiant, il faut rappeler que juger est l’acte le plus élevé et le plus parfait de l’intelligence humaine. Si l’idéologie dominante, pour servir ses fins, confond résolument les actes et les personnes qui les accomplissent, le christianisme les distingue non moins résolument. Il n’autorise pas à juger des personnes, de leur for interne, de leurs consciences, et s’agissant par exemple du cas des homosexuels, il invite à les respecter comme toute autre personne, aimée et créée par Dieu. Mais il enseigne que les actes peuvent être caractérisés indépendamment, par un acte de jugement, selon qu’ils sont conformes ou non à la loi morale. En rappelant cette indispensable distinction qui, en n’identifiant pas la personne à ses actes, permet le rachat, la conversion et le dépassement de soi, l’Eglise n’a pas à redouter d’être prise en défaut d’aimer les hommes, dont elle défend plus sûrement la dignité et la vocation.

La tolérance, d’ailleurs, n’est pas l’amour. Je puis tolérer le mal de quelqu’un que j’aime, mais si je l’aime, mon effort sera non de m’illusionner avec lui sur le mal dont il est prisonnier, en lui donnant à croire que c’est une valeur, un droit, un bien ou une liberté, mais de l’aider à en sortir, d’une manière ou d’une autre. Contrairement à ce qu’ose soutenir Mme Morano, le Christ n’a pas “toléré” les comportements fautifs de Zachée, l’adultère de la femme lapidée ou les turpitudes de Marie-Madeleine. Venu pour les pécheurs, Il a aimé en eux les personnes qu’il allait racheter au prix de ses souffrances inouïes et de son Sang pour les arracher à l’emprise de leurs péchés. « Va et ne pèche plus » dit-il explicitement à la femme adultère (Jn 8,11), après avoir fustigé l’aveuglement de ceux qui la poursuivaient, et Marie-Madeleine est la femme des parfums répandus sur les pieds du Sauveur, la pénitente de la Sainte-Baume et le modèle du repentir. Il n’y a rien là qui ressemble de près ou de loin à cette tolérance complaisante, complice et destructrice à laquelle on nous enjoint aujourd’hui de communier.

IV.- Que veut-on dire, nous, en faisant usage du mot « tolérance » ? Qu’il faille être miséricordieux ? Alors parlons donc de miséricorde. Qu’il faille être indulgent pour la faiblesse humaine ? Alors parlons d’indulgence. Qu’il faille aimer les hommes, même lorsqu’ils sont pécheurs ? Alors parlons d’amour, parlons de charité, parlons de compassion. Qu’il faille se supporter les uns les autres ? Alors parlons de bienveillance, parlons de patience, parlons de douceur ou de compréhension ! Qu’il faille se respecter ? Alors parlons de respect mutuel. Que reste-t-il alors à la tolérance que ces mots ne disent pas ? Qu’il faille accepter que d’autres ne partagent pas nos opinions, nos jugements, nos façons de voir ou de vivre ? Il n’y a rien là qui soit étranger à la bienveillance, au respect mutuel ou à la charité.

Qu’a-t-on à gagner à utiliser un mot qui, à trop vouloir dire, hors de son champ de signification, ne signifie plus rien et qui, surtout, par l’usage unilatéral qui en est couramment fait, tend à nous interdire à nous-mêmes d’exprimer ce que nous pensons ? Qu’on veuille bien y réfléchir : chaque mot ici proposé a, à lui seul, une richesse dont le mot tolérance est fort loin, et fort incapable, de remplir le sens. Alors ? Laissons-là les modes des discours aller avec celles des comportements, et ne dédaignons pas l’effort de parler vrai pour penser juste.

Source : http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=2003086_tolerance

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