« Un cygne noir est un événement hautement improbable doté de 3 caractéristiques principales : Il est imprévisible, engendre des conséquences majeures et une explication a posteriori est toujours donnée afin de rendre celui-ci plus rationnel, lui conférant ainsi une apparente et sécurisante prévisibilité.
Le succès phénoménal de la start-up Google a été un cygne noir de même que le furent les attentats du 11 septembre 2001, la bataille de Waterloo ou la naissance du Christianisme « .
L’auteur de ces propos, Nassim Nicholas Taleb, est aujourd’hui considéré comme le penseur contemporain le plus iconoclaste de la planète par le très prestigieux « Times » britannique.
Essayiste littéraire, épistémologue, ancien trader « quant » ayant oeuvré dans les plus grandes banques d’investissement de Wall Street, universitaire mondialement reconnu pour ses recherches sur le hasard et la connaissance, Nassim Taleb se consacre aujourd’hui entièrement à son grand dessein : Tâcher de déterminer comment vivre et agir dans un monde dont la compréhension ultime nous échappe, et apprendre à faire face aux incertitudes et autres aléas dont les conséquences sont souvent déterminantes.
Après avoir engrangé une fortune (35 à 40 millions $ selon les indications fournies par le Times) lors du krach d’octobre 1987, notamment grâce à sa perception aiguë du couple risque/rendement qui prévalait alors, le jeune trader fraîchement retraité d’origine libanaise décida alors de se consacrer à sa seule et unique passion : la réflexion pure sur l’épistémologie du hasard.
Après un premier essai en 1997 avec « Dynamic Hedging : Managing Vanilla and Exotic Options », la sortie de son ouvrage « Fooled by Randomness » en 2001 et déjà relatif aux lois du hasard, consacrera définitivement sa stature de grand penseur hétérodoxe. Le livre est depuis devenu culte parmi nombre de ses anciens coreligionnaires de la Finance.
Dans ces circonstances, la sortie du troisième essai, « The Black Swan : The Impact of the Highy Improbable », était des plus attendues. Se qualifiant lui-même d’ « empiriste sceptique », Nassim Taleb part du postulat que la nature humaine est fondamentalement biaisée, et qu’à ce titre nous sommes le plus souvent victimes d’illusions, de confortables certitudes balayées épisodiquement par des événements imprévus, les « cygnes noirs » (black swans en anglais). Nous surestimons la valeur d’une explication apportée a posteriori à des événements passés et sous-estimons de ce fait gravement la prévalence manifeste de la part aléatoire, irrationnelle et contingente de ces mêmes faits. En ce sens, il s’inscrit dans une longue lignée de philosophes sceptiques tels Socrate, Sextus Empiricus, Montaigne, David Hume et Karl Popper en considérant que nous savons en réalité beaucoup moins que ce que nous pensons et qu’une forme d’humilité intellectuelle devrait nous inciter à ne pas conjecturer de l’avenir sur la simple base de faits présents et passés.
C’est à la lumière de cette réflexion que la dénomination de » théorie du cygne noir » peut à présent être explicitée. Avant la découverte de l’Australie, les européens étaient convaincus que tous les cygnes étaient blancs, une croyance absolue qui était confortée par une complète évidence empirique, tant sur le Vieux continent que sur toute terre jusqu’à présent explorée . Il y a donc tout lieu de penser que la vue du premier cygne noir dût créer une vive surprise auprès des quelques ornithologues présents et autres nouveaux arrivants stupéfaits eux aussi de la couleur du plumage de ces distingués oiseaux.
Cette fable illustre le fondement de l’hypothèse initiale de Nassim Nicholas Taleb. Elle démontre la sévère limitation de notre Connaissance, basée le plus souvent sur l’étude et l’observation d’occurrences passées. Mais lorsqu’un seul cas, jusqu’alors inconnu survient (exemple du cygne noir), c’est l’ensemble du système, ses croyances et présupposés qui s’effondrent. Avec les conséquences en cascade que cela implique.
En définitive cependant, le propos de Nassim Taleb, loin d’être définitif et pessimiste sur notre propre faillibilité, se veut d’abord lucide et opportun. En effet, les cygnes noirs ne sont surprenants et préjudiciables que si on tente de les éluder, simplement parce qu’il est plus confortable d’envisager le monde comme une entité parfaitement structurée, ordinaire, compréhensible et prédictive. La réalité est plus complexe.
A l’inverse, tout individu ayant le courage intellectuel de reconnaître son caractère perfectible et d’envisager la venue de toute éventualité ne pourra jamais être pris complètement au dépourvu, les circonstances du moment pouvant même favoriser cet esprit indépendant et audacieux qui aura su voir en la Fortune non une ennemie à ignorer, mais une alliée à considérer.