Les doutes de Jean-Baptiste au sujet de Jésus
Celui qui relit d’un seul mouvement Luc 7, 18-35 découvrira plusieurs épisodes concernant les rapports de Jean-Baptiste à Jésus qu’il nous arrive rarement de relier ensemble. Nous les connaissons (plus ou moins), mais séparés et médités indépendamment les uns des autres.
Devons-nous en attendre un autre ?
La réaction de Jean-Baptiste aux faits rapportés par ses disciples éveille notre curiosité et notre étonnement : alors qu’il avait annoncé en Jésus celui qui doit venir, comment se fait-il que Jean doute et qu’il envoie poser la question : “Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?”
Quels événements ont été rapportés qui suscitent une telle suspicion ?
Il nous faut relire ce que Luc a rapporté auparavant, sur les débuts de la vie publique de Jésus. Il y a des choses fort positives, mais aussi des gestes et paroles susceptibles d’éloignement de la vrai foi juive. Nous découvrons la rencontre avec la veuve de Naïm dont il a réveillé le fils ; auparavant il y avait eu la guérison de l’esclave d’un centurion païen… Bon exemple d’accueil, mais de là à dire “qu’il n’avait jamais trouvé en Israël une telle foi” a dû en choquer plus d’un ou exciter plus d’un nationalisme religieux.
Quelques actes étonnants concernant Jésus
Rien de choquant, semble-t-il dans l’enseignement de Jésus aux disciples : le renversement des valeurs et la préférence pour les pauvres est biblique ; l’invitation à se regarder soi-même avant de juger les autres, aimer ses ennemis ; accueillir les foules et guérir de toute maladie est plutôt bon signe.
Mais où cela commence à poser question, c’est quand on a rapporté à Jean que, même le sabbat, Jésus opérait des guérisons. Oser profaner la sacro-sainte loi du sabbat n’est sans doute pas signe de fidélité à l’Alliance. Et lorsqu’on demande à Jésus de réprimander ses disciples pour avoir froissé des épis un autre sabbat Jésus aurait remis en place les détracteurs. Cela n’a pas dû être compris par Jean-Baptiste. Poursuivons vers le début la lecture de l’évangile : Luc signale que Jésus fréquente les pécheurs, mange avec eux, choisit un publicain pour disciple. Cela non plus ne peut être, aux yeux de Jean, signe de grande sainteté. Et Jésus ne semble pas insister sur le jeûne et l’abstinence, ce dont le baptiste avait fait un signe prophétique. Remontant plus avant dans l’Evangile, Jésus a osé pardonner à un paralysé, il a même fait taire les scribes et pharisiens. Qui est-il donc, ce Jésus ?
La visite de Jésus à la synagogue de Nazareth n’est pas passée inaperçue. Son homélie annonçant le réalisation des temps messianiques semble être bien accueillie, jusqu’à ce que Jésus rappelle que les étrangers ont une grand place dans le cœur de Dieu (Naaman le syrien et la veuve de Sarepta), et la foule gronde. Dans la lecture d’Isaïe, quelque chose a dû choquer un bon connaisseur des Ecritures : alors qu’Isaïe annonce ce jour-là comme un jour de vengeance de Dieu, le lecteur Jésus a censuré l’expression “jour de vengeance”.
La prédication de Jean-Baptiste, selon Luc
La prédication de Jean-B commence par l’expression “engeance de vipère” ! Pas très sympathique pour les scribes et pharisiens censés distiller la Parole de Dieu et non le venin ! L’accusation qu’il leur fait est de se mettre à couvert de la colère qui vient ! La prédication du Baptiste précise alors que la venue de Yahvé c’est comme la hache au pied de l’arbre, prête à couper ce qui ne porte pas de bons fruits. Jean appelle alors à poser des gestes qui manifestent la conversion. Il poursuit sa prédication en annonçant la venue du Messie comme quelqu’un qui fait le tri entre ce qui a du poids et ce qui n’est que paille emportée par le vent et que le feu va dévorer… Voilà l’annonce que faisait Jean. L’attitude de Jésus qui accueille tout le monde et surtout les pécheurs sans rien exiger d’eux ne correspond pas à l’image que le baptiste se faisait de celui qui viendrait après lui. On comprend un étonnement et des doutes bien légitimes.
Jésus répond en deux temps
Devant les disciples du Baptiste Jésus continue comme si de rien n’était. Il fait de nouveau de multiples guérisons et, alors seulement, il prend la parole, pour redire la citation d’Isaïe (une nouvelle fois censurée à propos de la vengeance divine, car le Dieu de jésus n’est pas un Dieu de colère ou de vengeance). Alors seulement Jésus renvoie les disciples auprès de Jean. Mais la discussion continue.
Jésus met en valeur Jean-Baptiste et son activité de messager devant celui qui doit venir. En même temps il établit une distinction entre ceux qui furent baptisés par Jean et ceux qui seront baptisés du baptême d’Esprit. Cette distinction reprise par les premiers chrétiens et Luc en particulier, est parfois mal comprise. Aucun de ceux qui ont reçu le baptême d’eau ne peut se déclarer plus grand que ceux qui ont reçu le baptême d’Esprit (sous-entendu : effusion de l’Esprit à partir de la Pentecôte) !
La dernière partie du récit signale l’attitude des publicains différente des pharisiens et légistes (scribes). Ces derniers ont rejeté Jean-Baptiste et Jésus. Ils sont comme ces “sales gosses” qui veulent faire bande à part, et se permettent de tout critiquer, Jean-Baptiste pour excès d’ascétisme, et Jésus comme glouton, ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs.
Conclusion
Cette parole n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd, puisqu’une femme vient de suite s’inviter chez Simon le pharisien et elle s’approche de Jésus dont elle vient d’entendre parler. Elle sait que Jésus accueille les pécheurs… elle n’hésite pas et met le prix de sa reconnaissance. Et Jésus ne dit rien, ce qui offusque Simon le pharisien. Tel est Jésus que même Jean-Baptiste n’y a pas reconnu son Messie.
Abbé Emile Hennart
Source : https://arras.catholique.fr/page-18527.html