Esaïe 53 : de qui parle-t-on, du Messie ou d’Israël ?

Pour contredire l’affirmation des chrétiens selon laquelle Esaïe 53 parle de Jésus qui a souffert et pris sur lui les péchés et maladies du peuple, les rabbins dans le judaïsme orthodoxe affirment que ce passage parle plutôt du peuple juif qui a pris sur lui à la Shoa, les péchés du peuple en exil pour les autres générations, du peuple juif qui souffre au milieu des païens ou encore d’Israël dans son ensemble.

Cet article va non seulement démontrer que cette dernière explication contredit tout le reste des Ecritures, mais aussi que c’est une invention tardive qui n’a pour but que de déstabiliser les affirmations des chrétiens et qui contredit même le Talmud, les dires des autres sages et documents juifs.

La conclusion de cet article est simple : « Il est biblique et juif d’affirmer qu’Esaïe 53 parle du Messie ».

A. Etudes d’Esaïe

D’entrée de jeux, nous tenons à signaler qu’une compréhension exacte d’Esaïe 53 devrait prendre en compte tout ce que certains appellent « les chants du serviteur », parmi lesquels nous avons Esaïe 42 : 1 – 9 ; Esaïe 49 : 1 – 12 ; Esaïe 50 : 4 – 11 ainsi qu’Esaïe 52 : 7 à Esaïe 53 : 12.

Pour ce qui est d’Esaïe 42 : 1 – 9, tout le monde s’accorde pour dire que ce passage jusqu’au verset 9 parle du Messie. Il est d’ailleurs similaire à Esaïe 11 : 2.

« Voici mon serviteur, que je soutiendrai, Mon élu, en qui mon âme prend plaisir. J’ai mis mon esprit sur lui; Il annoncera la justice aux nations. » (Esaïe 42 : 1)

Esaïe 49 : 1 – 12 parle de même du Messie. Seulement, certains ont utilisé le verset 3 pour affirmer que c’est Israël dont il est question dans ce passage.

« Ô vous, îles, écoutez-moi! Peuples lointains, soyez attentifs! Yahvé m’a appelé dès ma naissance, Il m’a nommé dès ma sortie des entrailles maternelles. Il a rendu ma bouche semblable à un glaive tranchant, Il m’a couvert de l’ombre de sa main; Il a fait de moi une flèche aiguë, Il m’a caché dans son carquois. Et il m’a dit: Tu es mon serviteur, Israël en qui je me glorifierai.» (Esaïe 49 : 1 – 3)

La difficulté à laquelle se bute cette thèse est qu’aux versets 5 – 6, ce serviteur ramène Jacob (Israël) à Dieu, il relève les tribus de Jacob et ramène le reste d’Israël.

« Maintenant, Yahvé parle, Lui qui m’a formé dès ma naissance Pour être son serviteur, Pour ramener à lui Jacob, Et Israël encore dispersé; Car je suis honoré aux yeux de Yahvé, Et mon Dieu est ma force. 6Il dit: C’est peu que tu sois mon serviteur Pour relever les tribus de Jacob Et pour ramener les restes d’Israël: Je t’établis pour être la lumière des nations, Pour porter mon salut jusqu’aux extrémités de la terre. » (Esaïe 49 : 5 – 6)

Ça ne peut donc pas être d’Israël dont on parle, mais, ainsi que le souligne le Rabbin James Trimm, le serviteur est appelé Israël parce qu’il existe un lien allégorique entre Israël et le Messie.Tous deux sont fils de Dieu ; tous deux sont les fruits d’une naissance miraculeuse ; tous deux s’abritèrent en Egypte dans leur jeunesse ; tous deux furent remontés d’Egypte et tous deux furent attaqués par Rome.
Si on s’attarde au verset 7 d’Esaïe 49, on parle de ce serviteur comme de « celui qu’on méprise et qui est en horreur au peuple ». Notez que le peuple est au singulier, et désigne donc le peuple d’Israël par qui ce serviteur est méprisé et pour qui il est en horreur. Il est vrai que certaines versions rabbiniques ont le mot « nations » au pluriel, mais le fait est que dans les manuscrits hébreux, le mot rendu par « nation » est au singulier, prouvant que le serviteur n’est pas Israël.
Maintenant, examinons Esaïe 52 : 7 à Esaïe 53 : 12 en nous posant les questions suivantes :

Qui parle ?

Qui est le serviteur ?

Qui est le « nous » ?

Qui est le « il » ?

Qui parle ?

Celui qui parle ne peut pas être Dieu puisque, celui qui parle a des péchés (Esaïe 53 : 6) tandis que Dieu est sans péchés.
Ce ne sont pas les rois des nations qui parlent puisqu’à en croire Esaïe 52 : 15, ils fermeront la bouche devant celui dont on parle.
C’est le prophète Esaïe lui-même qui parle d’Esaïe 52 : 7 à Esaïe 53 : 12.
Qui est le serviteur ?

Le serviteur ne peut pas être Israël parce que :
1. Le serviteur souffre volontairement (Esaïe 53 : 7, 12b). Israël et le peuple juif plus particulièrement n’a jamais volonteraiment accepté la captivité, l’exil et la dispersion. Les juifs ont toujours résisté. Ce n’est que parce qu’Israël a été a battu qu’il a accepté les mesures disciplinaires de son vainqueur.
2. Celui qui parle (Esaïe), tout en s’identifiant à un groupe « nous » (Esaïe 53 :6), établit un contraste entre lui et le serviteur. Si le « nous » est Israël et qu’il existe un contraste entre le « nous » et le « il », alors le serviteur n’est pas Israël.
3. Le serviteur souffre innocemment (Esaïe 53 : 6, 9) tandis qu’Israël ne souffre pas innocemment. C’est à cause des péchés commis envers Dieu qu’Israël souffre (Deutéronome 28 – 29 et Lévitique 26).
4. Au verset 8 d’Esaïe 53, le prophète Esaïe affirme que le serviteur a été frappé à cause des péchés de son peuple. Si Israël est le peuple du prophète Esaïe, alors Israël n’est pas le serviteur. Une interprétation plus stricte restreindrait le peuple d’Esaïe au peuple juif (car il prophétisa sur ce peuple plusieurs années après l’exil des 10 tribus). Dans ce cas, Esaïe ne parle donc pas du peuple juif qui souffre pour le reste d’Israël.
5. Dans Esaïe 53 : 11, le serviteur est identifié comme un serviteur juste. Nulle part dans la Bible Israël n’est identifié comme un serviteur juste. Dieu a souvent appelé ce peuple un peuple au cou raide.
6. Le serviteur meurt de ses souffrances (Esaïe 53 : 8, 12). Il est impossible que ce serviteur soit Israël ou le peuple juif. Le peuple juif est vivant malgré la dispersion et les persécutions et il est considéré comme le reste que Dieu a préservé de la grande famille des 12 tribus.
7. Le serviteur est une personne humaine et non une allégorie d’une quelconque entité.
« Méprisé et abandonné des hommes, Homme de douleur et habitué à la souffrance, Semblable à celui dont on détourne le visage, » (Esaïe 53 : 3).

Source de cette partie :

James Trimm, Nazarene Theology.

B. Etude des autres sources juives

En ce qui concerne le Talmud et les autres documents juifs anciens, ils identifient aussi celui dont on parle dans Esaïe 52 : 7 à Esaïe 53 : 12 comme le Messie.
Dans le Talmud de Babylone, Sanhedrin 98a, on nous apprend de Rabanan qu’il affirme que le nom du Messie est « le disciple de la souffrance » parce qu’il est écrit « ce sont nos souffrances qu’il a porté ; c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé. Et nous l’avons considéré comme puni, frappé de Dieu et humilié ». Une claire référence à Esaïe 53 : 4.
Toujours dans le Talmud de Babylone, Sanhedrin 98b, on lit ceci « Le Messie – quel est son nom ?… ceux de la maison de Rabbi Yuda le Saint disent « Le Malade » car, comme il est écrit : « assurément, il s’est chargé de nos maladies ». Il est clair qu’on insinue qu’Esaïe 53 : 4 parle du Messie.
La Midrash Cohen met les paroles suivantes dans la bouche du prophète Elie qui dit au Messie : « Endure les souffrances et le châtiment du Seigneur qui te frappe pour les péchés d’Israël, comme il est écrit : « Il a été écrasé pour notre rébellion, brisé pour nos iniquités » jusqu’à ce que la fin arrive. »

D’ailleurs, le Mahsor (Livre de prière pour le jour des expiations) écrit au 7ème siècle, en citant Esaïe 53 pour parler du Messie, exprime le fait que le Messie avait été enlevé au peuple après avoir enduré des souffrances et que désormais le peuple prie pour que le Messie revienne.
« Le Messie notre Justice nous a été enlevé ; l’effroi nous a saisi, et nous n’avons plus personne pour nous justifier. Il a porté le joug de nos iniquités et de notre transgression, il a été blessé à cause de notre transgression. Il porte nos péchés sur ses épaules pour que nous obtenions le pardon de nos iniquités. Nous serons guéris par sa blessure, le jour où l’Eternel le créera (le Messie) comme une nouvelle créature. Ô ramène-le du cercle de la terre, relève-le du pays de Seïr, pour qu’il nous rassemble sur le mont Liban, une nouvelle fois par la puissance de Yinon. »

Au 10ème siècle, le Rabbin Yepheth ben All affirma dans un commentaire sur Esaïe 53 : « Pour ma part je suis enclin, avec Benjamin de Nehavend, à considérer ce passage comme faisant allusion au Messie… Il (le prophète) nous fait donc comprendre deux choses. Premièrement que le Messie ne recevra les honneurs suprêmes qu’après avoir enduré de longues et multiples épreuves. Deuxièmement, que ces tribulations lui seront infligées comme un signe. S’il demeure pieux dans ses actions alors qu’il est plongé dans le malheur, il saura qu’il était désigné à être le Messie… L’expression « mon Serviteur » est appliquée au Messie comme elle l’a déjà été à son ancêtre, dans le verset : « J’ai juré à mon serviteur David ». (Psaumes 89 : 4) ».

Au 11ème siècle, le Rabbi Moshe Hadrashan affirma dans le Bereshit Rabbah, « Le Saint a donné au Messie l’occasion de sauver des âmes mais d’être sévèrement châtié lui-même. Par amour, le messie a sur-le-champ accepté le châtiment, ainsi qu’il est écrit : « Il a été maltraité et opprimé. » Quand Israël pèche, le Messie implore la miséricorde sur lui, comme lui est écrit : « C’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris » et « il a porté les péchés de beaucoup et a intercédé pour les coupables. »

Le Rambam (Rabbi Moïse Ben Maïmonide) lui aussi croyait qu’Esaïe 52 : 7 à 53 : 12 parle du Messie, car il écrit : « En ce qui concerne la mission par laquelle le Messie se révélera… il ne se recommandera pas à notre vénération en raison d’une noble origine ; ce sont les œuvres remarquables qu’il accomplira qui montreront qu’il est le Messie attendu… Esaïe déclare : « Il s’est élevé comme une faible plante, comme un rejeton qui sort d’une terre desséchée » (Esaïe 53 : 2), indiquant par là qu’on ne connaîtra pas son ascendance exacte, jusqu’à ce que les succès de sa mission attirent l’attention du peuple… Ce qui mérite d’être signalée, c’est que des têtes couronnées seront dans la stupeur… Les souverains garderont le silence comme le déclare Esaïe : « Devant lui des rois fermeront la bouche ; car ils verront ce qui ne leur avait point été raconté, ils apprendront ce qu’ils n’avaient point entendu. »(Esaïe 52 : 15).

Dans le Zohar, écrit au 13ème siècle par le Rabbin Simon ben Yochaï ; Ex.fol. 212a, il est écrit : « Il existe dans le jardin d’Eden un palais appelé palais des fils de la maladie ; le Messie y entre et attire toutes les maladies, toutes les souffrances et toutes les sanctions d’Israël ; elles viennent toutes et se posent sur lui. S’il n’avait pas ainsi allégé le fardeau d’Israël en les prenant sur lui, il ne se serait trouvé personne qui fût capable de porter le châtiment d’Israël en raison de ses transgression de la loi : c’est ce qui est écrit : « Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées » (Zohar ; Ex.fol. 212a).

Ici, le Zohar fait clairement allusion du fait qu’Esaïe 53 : 4 parle du Messie.

Ce n’est qu’entre le 11ème et 12ème siècle que fut avancée la théorie selon laquelle le passage d’Esaïe 53 ne s’applique pas au Messie mais au peuple d’Israël.

Le premier à faire cette déclaration fut Rabbi Salomon bar Isaac, mieux connu sous le nom de Rashi et il fut suivi par David Kimchi. Comme à cette époque il y avait beaucoup des débats entre les rabbins et les chrétiens et que ces derniers utilisaient Esaïe 53 pour prouver que Jésus est le Messie, certains rabbins commencèrent à appliquer ce texte à Israël.
Toutefois, il faut noter que l’interprétation que Rashi et certains donnèrent à Esaïe 53 fut considérée par les autres rabbins comme fantaisiste et forcée.
En 1650, Rabbi Naphtali ben Asher Altschuler écrvait : « J’explique ces versets et je les applique à notre Messie qui viendra bientôt, plaise à Dieu ! Je suis surpris que Rashi et Rabbi David Kimchi ne les aient pas appliqués au Messie, comme le font les Targums. »

Quelques siècles avant Rabbi Naphtali, en Espagne vers 1350, Rabbi Moshe Kohen Ibn Crispin parlant de l’interprétation de Rashi dira :
« Avec nos autres rabbins, je suis heureux d’interpréter ce passage comme s’appliquant au Roi Messie, et je veillerai dans toute la mesure du possible à m’attacher au sens littéral. Je serai ainsi protégé des interprétations fantaisistes et forcées dont plusieurs se sont rendus coupables. Cette prophétie a été donnée par Dieu à Esaïe pour nous faire connaître quelque chose de la nature du Messie futur, qui doit venir et délivrer Israël, et connaître également quelque chose de sa vie pour le jour où il apparaîtra quand il voudra en attendant sa venue comme rédempteur, de manière à ce que si quelqu’un se proclamait Messie, nous puissions réfléchir et voir s’il présente des traits de ressemblance avec ce qui est écrit à son sujet. S’il correspond à ce qui a été annoncé, alors nous pourrons croire qu’il est le Messie notre justice, sinon, ne le considérons pas comme tel. »
Le Rabbin Saadyeh Ibn Danan de Grenade condamna ceux qui interprètent la prophétie d’Esaïe 53 pour l’appliquer à Israël, allant jusqu’à leur demander de revenir à la tradition talmudique qui applique ce texte au Messie, arguant que la raison évoquée pour ce mensonge ne suffit pas pour taire la vérité. Voici ce qu’il affirma en 1500 :
« L’un d’entre eux, Rabbi Joseph ben Kaspi, a été jusqu’à dire que ceux qui ont appliqué ce passage au Messie qui devait bientôt être révélé ont donné aux hérétiques l’occasion de voir en Jésus l’accomplissement de la prophétie. Que Dieu lui pardonne de ne pas avoir professé la vérité ! Nos Rabbis, les docteurs du Talmud, ont fait connaître leurs opinions par la puissance de la prophétie et possèdent une tradition concernant les principes d’interprétation… Le texte fait seulement référence au Roi Messie. »

Toujours au 16ème siècle, Rabbi Moshe Le Sheich écrivit : « Nos maîtres dont nous conservons le souvenir béni sont unanimes pour accepter et affirmer l’idée que le prophète parle du Roi Messie. Adhérons nous aussi à cette interprétation. »
Citons aussi le Rabbi Elia de Vidas qui écrivit en 1575 à propos d’Esaïe 53 : 5 : « Les paroles « il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités » montrent que si le Messie a été brisé pour avoir porté nos iniquités, celui qui n’admet pas que le Messie ait souffert pour nos péchés devra subir lui-même le châtiment de ses iniquités. »

Malgré le fait qu’elle contredit les dires des anciens, des sages d’antan, l’interprétation de Rashi et David Kimchi est devenue la position des rabbins d’aujourd’hui.
Entre une interprétation qui s’accorde avec les Ecritures et les interprétations anciennes et celle qui contredit les autres, juste pour ne pas donner aux chrétiens la possibilité de se baser sur Esaïe 53 pour prouver que Jésus est le Messie, chacun doit devant sa conscience et devant le Maître du Ciel et de la Terre choisir celle qui est vraie.

Source de cette partie :

Dr Arnold G. Fruchtenbaum, Le Messie de l’Ancien Testament I : Le conflit à propos d’Esaïe 53, disponible sur http://www.bible-ouverte.ch/livres/juifs_tab.htm

http://cafe-biblique.blogspot.com/2009/10/esaie-53-de-qui-parle-t-on-du-messie-ou.html



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