Élections de 2020 aux États-Unis : de la théorie du complot au fait de complot

La semaine dernière, le magazine Time a reconnu dans un article que ce que l’auteur appelle lui-même une « conspiration », lancée par une « cabale bien connectée de gens puissants », « a fait en sorte que des États changent de système et de lois électoraux » et « ont réussi à faire pression sur les sociétés de médias sociaux », parmi d’autres actions visant à abattre Trump « démocratiquement ». La révélation de ces éléments constitue une tentative des Démocrates d’infléchir leur puissance narrative d’après-scrutin à l’encontre de leurs opposants, et de provoquer les plus instables d’entre eux à sur-réagir de manière violente, d’une manière qui pourrait être exploitée pour justifier la phase suivante de leur « conspiration ».

Ils ont vendu la mèche

Les Démocrates et leurs soutiens ont commencé par diffamer quiconque — en le désignant comme « théoricien du complot » – émettait des hypothèses quant à des efforts concertés secrets contre l’ancien président Trump au cours de la période préparatoire, puis juste après les élections de l’an dernier ; quiconque se prêtait à l’exercice prenait le risque de se voir banni des plate-formes de réseaux sociaux pour avoir fait usage de sa liberté d’expression garantie par la constitution, en fonction de la vision qu’il exprimait à cet égard. Il a été annoncé qu’exprimer une telle interprétation des événements équivalait à propager des « désinformations » et tenter de « délégitimer » le résultat « démocratique » du processus électoral étasunien. Il est donc d’autant plus surprenant que le Time ait reconnu la semaine dernière dans un article que ce que l’auteur appelle lui-même une « conspiration », ourdie par une « cabale bien connectées constituée de gens puissants », ait « amené les États à modifier leurs systèmes et lois électoraux » et soit « parvenue à faire pression sur les sociétés de médias sociaux », parmi d’autres actions visant à abattre Trump « démocratiquement ». En d’autres termes, la « théorie du complot » est désormais un « fait de complot ».

Des questions politiquement encombrantes

Voilà qui amène naturellement à la question : pourquoi cet organe de presse pro-Démocrate arbore-t-il fièrement « L’histoire secrète de la campagne de l’ombre qui a sauvé les élections de 2020 », titre de l’article en question ? Les Démocrates ne peuvent pas « discréditer » le Time, sous peine d’infliger les mêmes dégâts aux dizaines de personnes nommées dans cet article qui ont coopéré de manière volontaire avec le journaliste Molly Ball pour montrer, comme l’un d’eux l’a exprimé, que « le système n’a pas fonctionné par magie » et que « la démocratie ne se déroule pas d’elle-même ». Volontairement ou non, voici qu’ils ont confirmé ce qui était décrit jusqu’ici comme une « théorie du complot », en faisant un « fait de complot », justifiant chacun des soutiens de Trump qui aura exprimé de tels sentiments par le passé. Et ce n’est pas tout, car ils ont également tacitement reconnu que ceux qui ont été bannis des réseaux sociaux ont été les victimes de la même « conspiration » ourdie par une « cabale bien connectée de gens puissants ». Il semble impossible d’expliquer pourquoi ils ont laissé paraître cet article, mais une réflexion approfondie sur la décision délibérée de publier ces révélations permet d’avancer quelques explications plausibles.

L’inflexion du pouvoir narratif post-électoral des Démocrates

La première explication est que, comme « chaque Démocrate est un dictateur en herbe« , le parti a voulu user de son pouvoir narratif post-élection aux fins d’humilier ses opposants. Le message envoyé est plutôt simple : ils sont en mesure non seulement de s’en sortir en pratiquant littéralement des « conspirations » comme celle-ci, mais sont également assez puissants pour utiliser comme armes les institutions qu’ils contrôlent (les Big Techs, le gouvernement, les médias de masse, etc) pour supprimer politiquement quiconque ose les dénoncer. Comme prédit dans l’analyse du présent auteur en fin d’année 2020 : « L’Amérique de Biden serait un enfer dystopique« , les Démocrates veulent de facto rapidement imposer une dictature à parti unique sur le reste du pays, en collaboration avec leurs alliés RINO (« Republicans In Name Only »). Après avoir réussi à ourdir ce que Nebojsa Malic, du journal RT, décrit à raison comme une révolution de couleur, et à remporter ce que l’auteur du présent article a décrit par le passé comme la guerre hybride terroriste contre l’Amérique, ils sont assez ivres de pouvoir pour passer à pleine vitesse et sans hésitation à l’étape suivante dans la poursuite de cet objectif.

Des motifs de démoralisation au plus haut

Le mouvement « Make America Great Again«  inspiré par Trump est englué dans une guerre politique contre les RINOs, dans le même temps qu’il lutte pour s’auto-purger de ses éléments QAnon subversifs. Cela le rend plus faible qu’il ne le fût jamais depuis sa création, et incapable d’organiser de manière appropriée une résistance politique digne de ce nom face à ces desseins. Les Démocrates n’auront jamais disposé d’un moment plus approprié pour porter ce qu’ils espèrent être le coup de grâce au moral de leurs opposants les plus importants, d’autant plus que leur révélation a été produite au moment où un Trump capturé par le marigot a décidé de s’allier avec l’establishment du parti Républicain, dans un espoir sans doute mal investi que le parti pourra reprendre contrôle du Congrès au cours des élections de mi-mandat, en 2022. On comprend bien que le niveau de frustration intense que certains des opposants aux Démocrates pourraient ressentir quant à ces développements accablants et simultanés pourrait inciter les plus instables d’entre eux, comme les pratiquants du culte QAnon, à sur-réagir de manière violente. Cela serait exploité pour justifier la phase suivante de cette « conspiration ».

La dictature à coup de motions « démocratiques »

Après tout, parmi les opposants aux Démocrates, il ne fait guère de doute quant au fait que le parti va sortir tout son jeu pour imposer de facto une dictature du parti unique au reste du pays, surtout après que le Time a fièrement arboré la manière dont ils ont déroulé la première phase de ce qu’ils appellent eux-mêmes une « conspiration » pour abattre Trump « démocratiquement » au travers des actions « secrètes » d’une « cabale bien connectée de gens puissants ». Bien qu’ils aient clairement énoncé qu’ils vont utiliser comme arme leur contrôle des institutions pour supprimer politiquement les autres en usant d’attaques diffamatoires, des bannissements hors des réseaux sociaux, voire pire, sur le fondement d’un récit indéniablement deux poids, deux mesures, ils continuent de nourrir le projet de parvenir à s’emparer totalement du pouvoir en usant de motions superficiellement « démocratiques ». Qu’un soutien de Trump instable et à risque pouvait, à la découverte de cette révélation, fomenter ou, Dieu nous protège, mener à bien une attaque terroriste intérieure, leur grand objectif stratégique s’en trouverait fortement avancé et aidé. Dans les faits, il n’est même pas nécessaire qu’un tel drame se produise réellement, car le contexte est déjà prépositionné pour inventer cette allégation s’il le faut.

Le règne de la confusion

Un autre objectif implicite de la reconnaissance de cette « conspiration » contre Trump par une « cabale bien connectée de gens très puissants » est de rendre à quiconque la tâche impossible quant à comprendre ce qui s’est réellement produit. Pour cette raison, aucun rapport sur des attaques terroristes intérieures, ou des projets menés par des soutiens de Trump en réponse à la publication surprise par le Time ne devrait être pris pour argent comptant, car un doute persistant mais plausible existera toujours quant à l’idée que de telles allégations font également partie de la vaste « conspiration » qui vient d’être confirmée récemment. Il ne serait alors pas surprenant que de nombreuses personnes pensent qu’il s’agirait d’une attaque sous faux drapeau, ou que ceux qui ont été impliqués à projeter ce type d’attaque y ont été piégés par la police secrète (FBI) si une attaque se produisait. L’objet de mentionner ceci n’est pas d’assigner de manière automatique quelque crédibilité à de telles interprétations, mais simplement d’attirer l’attention sur la probabilité que cela se produise en retombée de l’article scandaleux du Time.

Une « solidarité américaine » est la seule solution réaliste

L’impact politique intérieur serait pour autant identique, que cela se produise réellement tel que cela pourrait être décrit, ou non, car de tels incidents se verraient sans aucun doute exploités pour faire progresser le grand objectif stratégique des Démocrates : imposer de facto un État avec un parti unique au reste du pays. Certes, il semble qu’aucune action à la portée des dissidents n’existe quant à empêcher cela, sauf peut-être organiser immédiatement un mouvement de « solidarité américaine » sur le modèle de son homologue polonais historique, même s’il pourrait falloir des années pour qu’il dispose d’un effet remarquable, à supposer qu’il puisse avoir un effet en opérant de manière pacifique, car les conditions politiques intérieures sont drastiquement différentes. Non seulement une quelconque tentative d’organiser une résistance illégale serait illégale et pourrait être qualifiée d’immorale, mais cela simplifierait les projets des Démocrates, en livrant des preuves concrètes de ce qu’ils décrivent comme un complot intérieur, et en justifiant l’accélération de la prochaine phase de leur « conspiration ». Pour ces raisons, « Solidarité américaine » est la seule sortie réaliste (quoique possiblement sur le long terme) de cette impasse.

Conclusions

Les Démocrates ont pris la décision délibérée de faire arborer fièrement par l’un de leurs organes de communication les plus visibles ce qu’ils décrivent eux-mêmes comme une « conspiration » quant à une « cabale bien connectée de gens puissants » ourdie contre Trump. Cette action a été menée pour humilier et démoraliser leurs opposants politiques, et sans doute pour provoquer les éléments les plus instables et à risque, comme les plus radicaux pratiquants du culte QAnon, à une surréaction à base d’actions violentes, qui pourrait par la suite être exploitée comme justification de la phase suivante de leur « conspiration ». Plusieurs messages ont été envoyés : les Démocrates ont réussi à prendre le contrôle de toutes les institutions, et les utilisent désormais comme armes servant à supprimer politiquement leurs opposants, en pratiquant le « deux poids, deux mesures » ; cette révélation était bien connue depuis longtemps par toutes les parties, mais n’a été reconnue publiquement par les coupables pour des raisons de calendrier stratégique ; et nul ne pourra jamais plus prendre pour argent comptant les affirmations des Démocrates et de leurs mandataires (institutions y comprises). En vérité, au moment où s’est refermée une guerre hybride contre les États-Unis, une autre ne fait que commencer.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Note du Saker Francophone

Pour tout Français qui serait tenté de se réjouir d'assister à un tel délitement outre-Atlantique avec un seau de pop-corns, il va falloir déchanter

Traduit par José Martí pour le Saker Francophone

Source : https://lesakerfrancophone.fr/elections-de-2020-aux-etats-unis-de-la-theorie-du-complot-au-fait-de-complot

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