La déshumanité des hôpitaux ultra modernes

L’hôpital Georges-Pompidou à Paris ressemble beaucoup à l’hôpital cauchemardesque où se déroule l’intrigue du film d’horreur The Kingdom du réalisateur danois Lars von Trier (ci-dessus).

N’allez jamais à l’hôpital Georges Pompidou.

Chère lectrice, cher lecteur,

L’hôpital Georges-Pompidou est un bâtiment monstrueux bâti dans le 15e arrondissement de Paris.

Je le connais bien, j’habitais à côté pendant les travaux.

Les hauts fonctionnaires du ministère de la Santé ont voulu réunir toutes les spécialités médicales du monde au même endroit. L’État leur a donné carte blanche pour dépenser.

Résultat : un bâtiment cauchemardesque digne du film The Kingdom de Lars von Trier, un thriller qui se déroule dans les couloirs infinis et ténébreux d’un hôpital hanté au Danemark.

L’hôpital Georges-Pompidou est tristement célèbre depuis les suicides du cardiologue Jean-Louis Mégnien qui s’est jeté par la fenêtre le 17 décembre 2015, et de l’infirmier mort de la même manière le 6 février 2017. [1]

Mais il se pourrait bien qu’un autre spectre vienne hanter, au moins en conscience, les concepteurs fous de l’hôpital Georges-Pompidou.

La terrifiante agonie de Jean-Pierre Rouchy

On ne sait pas encore le fin mot de l’histoire mais les premiers faits qui ont filtré laissent entendre qu’il s’est produit un drame aussi aberrant qu’inhumain.

D’après le compte-rendu publié par RTL, on comprend les faits suivants : [2]

Le 25 janvier 2017, Jean-Pierre Rouchy, 47 ans, arrive à l’hôpital Georges-Pompidou, en provenance de l’hôpital St-Anne (connu pour sa spécialité en psychiatrie).

Le 28 janvier à 7 h 40, une infirmière constate qu’il n’est plus dans sa chambre. Personne, dans les couloirs, ne s’est aperçu de rien, alors qu’il s’agissait par définition d’un patient dans un état de grande fragilité psychologique et physique (il a été transféré pour une possible embolie pulmonaire), qui devrait donc être surveillé avec attention.

Mais non. Personne dans les couloirs n’avait remarqué sa disparition.

À ce stade, il y a déjà négligence grave. Mais ce n’est que le début.

Malgré cette disparition inquiétante, personne ne s’inquiète ou, en tout cas, personne ne songe à donner l’alerte.

Ce n’est que sept heures plus tard que la disparition sera signalée.

Les services de l’hôpital décident alors de déclarer que Jean-Pierre a fait « une fugue ». Il aurait quitté l’hôpital, selon eux.

Mais la famille, arrivée sur les lieux, s’aperçoit immédiatement que Jean-Pierre n’a pris ni ses chaussures ni même ses chaussettes. Dans ces conditions, elle estime certain qu’il n’a pas voulu partir dans la rue. Non. Jean-Pierre a quitté sa chambre pour, peut-être, essayer d’entrer en contact avec quelqu’un, peut-être descendre à la cafétéria comme il l’a déjà fait la veille. Et il n’a trouvé personne, et il n’a pas réussi à revenir tout seul.

Cela paraît plus probable, dans ce dédale d’escaliers, de couloirs et d’ascenseurs.

Mais les fonctionnaires de l’hôpital ne l’écoutent pas. Ils estiment que c’est au commissariat du quartier de gérer ce problème, et y déposent une déclaration de disparition.

Ils demandent toutefois aux agents de sécurité de l’hôpital d’aller voir s’ils ne trouvent pas Jean-Pierre dans le bâtiment. Mais les agents de sécurité se contentent de déambuler, comme d’habitude, le long des couloirs interminables de cet immeuble kafkaïen. Il serait trop long, et trop compliqué, de pousser une à une les 5 000 portes que compte l’hôpital Georges-Pompidou et qui ouvrent sur des réduits, des salles de stockage, de matériel, etc.

La famille est de plus en plus inquiète. Elle sait qu’une tragédie est peut-être en train d’avoir lieu. Mais elle n’a aucun moyen de prendre une initiative face à une bureaucratie inerte où personne ne veut rien entendre, où on se contente de pousser des dossiers.

Comme dans les oubliettes d’un château fort

Pourtant, pendant ce temps-là, Jean-Pierre n’est en fait qu’à quelques pas de sa chambre.

Il a en effet voulu descendre vers la cafétéria. Mais il est descendu jusqu’au sous-sol, au niveau -1 qui correspond au parking, et il s’est retrouvé coincé derrière une porte par un dispositif coupe-feu qu’il n’a jamais réussi à rouvrir !!

A partir de là, on ne peut qu’imaginer le scénario horrible qui s’est passé.

Jean-Pierre, sans doute, a appelé, crié, tambouriné. Mais l’épaisse porte de sécurité, qui répond à toutes les « normes » de sécurité, n’a laissé passer aucun son.

Jean-Pierre a paniqué. Les heures se sont écoulées et personne n’est venu. Il a commencé à avoir faim, et soif. Il a eu peur.

Pendant ce temps-là, dans l’hôpital, on remplissait des papiers, des formulaires. La « procédure » suivait son cours, et rien d’efficace n’était entrepris pour retrouver Jean-Pierre.

Seule une caméra de sécurité filme l’atroce agonie dans la pièce. Seulement, cette caméra n’est reliée à aucun écran surveillé par aucune personne humaine.

La nuit s’écoule, puis la journée. Et encore une nuit. Et encore une journée. Jean-Pierre est épuisé. Torturé par la soif et la faim, il sent ses forces le quitter. Il finit par perdre conscience, mourant de déshydratation et d’inanition. Dans son supplice, il s’est sans doute réveillé plusieurs fois, comme dans un cauchemar. Puis il s’est effondré, pour la dernière fois.

Ce n’est que trois jours après sa disparition que la porte a enfin été poussée, par hasard. Le corps de Jean-Pierre gisait là, sans vie.

Personne n’est responsable

Grâce à la caméra, toutes les images sont là et peuvent être visionnées. « La caméra de l’hôpital Pompidou a filmé les trois jours d’agonie de mon frère », a déclaré Jean-Louis Rouchy, le frère aîné de Jean-Pierre. [3]

La presse évoque des « interrogations » suite à cette affaire. Une enquête a été ouverte. Mais, pour l’instant, chacun se renvoie la balle. Personne n’a reconnu sa responsabilité. « C’est pas moi, M’sieur l’agent… »

Le directeur de l’AP-HP (hôpitaux de Paris) Martin Hirsch s’est contenté d’envoyer sa réaction sur… Twitter : « L’AP-HP reconnaît sa responsabilité dans les dysfonctionnements », s’est-il borné à déclarer, comme s’il s’agissait d’un incident de procédure anodin.

L’hôpital, de son côté, a annoncé que « des mesures seront prises pour éviter qu’un drame similaire se produise ».

« Des dispositifs de localisation pourraient notamment être proposés aux patients volontaires. Le système de vidéosurveillance, dont les pannes étaient connues depuis septembre 2016, est, lui, redevenu fonctionnel », peut-on lire dans les comptes-rendus [4].

Et moi, excusez-moi, mais je réponds : « Mon œil ! ».

Car cette affaire révèle avant tout deux choses :

que, dans nos hôpitaux ultramodernes, on peut désormais mourir comme dans les plus sombres oubliettes des temps barbares ;

et que les procédures, l’organisation, la planification, ont fini par nous priver de la chose qui nous est la plus précieuse, surtout dans un hôpital, où on est là pour soigner des gens : l’humain.

Une mère qui aurait perdu son enfant aurait eu tôt fait d’« ouvrir les portes » alentour pour vérifier qu’il n’était pas coincé derrière. Et quant à laisser s’écouler trois longues journées jusqu’à ce qu’il meure, c’est proprement impensable.

Mais voilà ce qu’on obtient quand on entreprend de déshumaniser la médecine et les rapports entre les gens. On perd la capacité de penser même aux évidences. Personne n’est responsable. D’ailleurs, si l’on est obligé d’écrire, de prévoir dans la procédure de « proposer aux patients un dispositif de location volontaire » au cas où ils se perdraient et pourraient mourir de faim dans un recoin de l’hôpital, c’est qu’on est arrivé au bout de la logique ou, plutôt, de l’absurdité.

Bien à vous,

Jean-Marc Dupuis
Sources :

[1] Suicide à l’hôpital Pompidou

[2] « La caméra de l’hôpital Pompidou a filmé les trois jours d’agonie de mon frère »

[3] « La caméra de l’hôpital Pompidou a filmé les trois jours d’agonie de mon frère »

[4] HEGP : un rapport accablant après la mort d’un patient

 



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