« Pourquoi le passe sanitaire est illégal, malgré la décision du Conseil constitutionnel »

Le tribunal administratif de Versailles vient de suspendre l’arrêté du préfet des Yvelines du 19 août 2021 fixant la liste des grands magasins et centres commerciaux du département dont l’accès est subordonné à la présentation du passe sanitaire.
© Serge Tenani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Des avocats et juristes expliquent pourquoi le passe sanitaire instauré par la loi du 5 août relative à la crise sanitaire est, selon eux, contraire au droit international et par conséquent illégal.

Le Conseil constitutionnel s’est penché sur le passe sanitaire mais seulement au regard de la Constitution. La conformité de la loi du 5 août et de ses décrets au droit international peut, par conséquent, être examinée à l’occasion d’un procès, par exemple si un citoyen s’étant vu refuser l’accès à un restaurant ou un TGV soulève ce point en justice. Le droit international ayant une valeur supra-législative, les juges sont compétents pour écarter des dispositions légales ou réglementaires qui lui seraient contraires.

Dans son avis du 19 juillet 2021, le Conseil d’État indique que pour apprécier un dispositif prévu de mise en place d’un passe sanitaire, il prend en compte notamment le fait que ce dispositif :

– « ne puisse avoir pour effet, sauf dans des situations exceptionnelles, de remettre en cause la possibilité pour l’ensemble de la population d’accéder à des biens et services de première nécessité ou de faire face à des situations d’urgence ; […]

– ne porte pas au droit des intéressés au respect de leur vie privée, une atteinte disproportionnée en particulier en les contraignant à révéler une précédente contamination ou à dévoiler très fréquemment leur identité dans les activités de la vie quotidienne ;

– ne crée pas de différences de traitement dépourvues de justifications objectives entre les activités soumises au dispositif et celles qui n’y sont pas soumises ».

DISPROPORTIONNÉE

Sur le premier point, le tribunal administratif de Versailles vient de suspendre l’arrêté du préfet des Yvelines du 19 août 2021 fixant la liste des grands magasins et centres commerciaux du département dont l’accès est subordonné à la présentation du passe sanitaire, au motif qu’il ne prévoit pas « les conditions garantissant l’accès des personnes ne disposant pas de passe sanitaire aux établissements commercialisant des biens de première nécessité situés dans l’enceinte de ces magasins et centres ». C’est dire si le juge administratif entend faire respecter les limites posées par le Conseil d’État.

Sur le deuxième point, le décret prévoit que « les personnes et services habilités [à contrôler le passe sanitaire] peuvent lire les noms, prénoms et date de naissance de la personne concernée par le justificatif, ainsi qu’un résultat positif ou négatif de détention d’un justificatif conforme » : comment une telle atteinte à la vie privée ne serait-elle pas disproportionnée dès lors que les personnes sont contraintes de révéler une précédente contamination ou de dévoiler très fréquemment leur identité puisqu’il s’agit d’activités de la vie quotidienne (restaurants, cinémas, trains) ?

Surtout, le dispositif crée des « différences de traitement dépourvues de justifications objectives ». Ainsi, le passe sanitaire est exigé pour fréquenter les restaurants et cafés mais non les lieux de restauration collective ou de restauration professionnelle routière. Ou encore, il est exigé dans les transports publics interrégionaux mais non dans les transports publics régionaux, comme si le virus se transmettait dans les TGV mais non dans les TER.

ATTEINTES AUX LIBERTÉS

Quant à l’objectif poursuivi, s‘il est de garantir, sur les lieux concernés, la seule présence de personnes « protégées » contre le virus SARS-CoV-2, alors la présence d’anticorps chez une personne devrait pouvoir servir de passe et l’exclusion de ces personnes est discriminatoire.

Si l’objectif est d’assurer la seule présence de personnes ne présentant pas un « risque » de transmission du virus, alors l’obligation de présenter ce passe n’est pas justifiée par l’objectif visé puisque les personnes vaccinées peuvent être porteuses du virus et contagieuses, et que le CDC, l’agence de santé publique américaine, affirme même que les personnes vaccinées sont aussi contagieuses avec le variant Delta que les personnes non vaccinées.

Les interdictions d’accès à certains lieux ou services imposées à ceux qui ne présentent pas un passe ne sont par conséquent justifiées ni par la nature de la tâche à accomplir ni par l’objectif poursuivi. Elles constituent dès lors des atteintes disproportionnées aux libertés protégées par la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.

Notons encore que la loi soumet sauf urgence au passe sanitaire la visite des personnes autres que des enfants dans les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux. Or, le Conseil d’État a jugé le 3 mars 2021, alors que « la situation sanitaire demeur[ait] critique en France » et que « plus de 80 % des résidents des EHPAD et des Unités de soins de longue durée et 43 % des soignants avaient reçu au moins une dose de vaccin », que « la prescription d’interdiction de sortie des résidents (…), qui présente un caractère général et absolu ne peut manifestement pas être regardée comme une mesure nécessaire et adaptée et, ainsi, proportionnée à l’objectif de prévention de la diffusion du virus. (…) cette prescription qui porte une atteinte grave à la liberté d’aller et venir est manifestement illégale ».

Dès lors, l’interdiction de visite pour non-détention du passe porte à la vie privée et familiale protégée par la Convention européenne des droits de l’homme une atteinte qui ne peut qu’être considérée comme grave et manifestement illégale.

Et que dire de la liberté de culte, quand les aumôniers, ministres du culte et visiteurs permettant aux personnes accueillies d’exercer leur culte sont eux aussi soumis au passe sanitaire, une telle exigence empêchant les personnes visitées d’exercer leur liberté ?

OBLIGATION VACCINALE DE FAIT

Pour finir, il convient de relever que l’exigence de produire un passe sanitaire crée, de fait, une obligation vaccinale pour de nombreuses personnes dès lors que les tests nasopharyngés ne sont pas adaptés lorsqu’ils sont répétés et qu’il existe des situations dans lesquelles ils sont contre-indiqués. Sans compter que, de façon générale, ces prélèvements « ne sont pas sans risque ». La disponibilité des tests salivaires et des autotests est faible et même les tests antigéniques sont peu disponibles en milieu rural. Il y a donc une réelle difficulté d’accès au passe sanitaire hors vaccination, outre l’obstacle matériel et financier que représente leur coût, à savoir 270 euros par mois soit presque la moitié du RSA.

Or, à cet égard, dans son avis du 19 juillet 2021, le Conseil d’État a souligné que l’application du passe sanitaire ne devait pas être justifiée par un « un objectif qui consisterait à inciter les personnes concernées à se faire vacciner ». C’est pourtant bien ce qui se passe car de nombreuses personnes se font vacciner « pour avoir la paix » et « avoir un passe ».

Comment comprendre à cet égard qu’un examen sérologique montrant la présence d’anticorps ou un certificat médical d’infection par le Covid-19 ne puissent pas valoir certificat de rétablissement ? La DGS [Direction générale de la santé] admet elle-même, pour les schémas vaccinaux à une dose, que la preuve d’une infection passée peut provenir d’un test sérologique. Les anticorps sont bien une preuve d’une infection passée et d’une suffisante protection de soi et des autres qui devrait exonérer temporairement de passe sanitaire et de vaccination. Et le ministre de la Santé, Olivier Véran, a d’ailleurs affirmé à l’Assemblée nationale que, concernant les « soignants ayant attrapé le Covid (…) : ils reçoivent un certificat les exemptant provisoirement (…), puisque l’on considère qu’ils ont les anticorps ».

En conclusion, signalons que, si le présent propos s’en tient au passe, la conformité de la loi de gestion de la crise sanitaire au droit international est encore en cause dans son volet instaurant l’obligation vaccinale pour certains professionnels. Il y a là encore en vue de nombreux contentieux car le respect par la loi des normes à valeur supra-législatives n’engage rien de moins que la survie de l’État de droit.

Signataires :

Capucine Augustin, avocate

Grégoire Belmont, avocat

Marc Gâteau-Leblanc, avocat

Benoit de Lapasse, avocat

Camille de Rambures, avocat

Bruno Le Griel, avocat

Loïc Lerate, avocat

Delphine Loiseau, avocat

Françoise Besson, avocate

André Bonnet, avocat

Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé

Source : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/pourquoi-le-passe-sanitaire-est-illegal-malgre-la-decision-du-conseil-constitutionnel

 

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