Point de vue d’un évolutionniste

Vive le créationnisme !

Thomas Lepeltier, Vive le créationnisme ! Point de vue d’un évolutionniste, éditions de l’Aube, 2009, 63 p.

Par Thomas Lepeltier

Je ne suis pas croyant. Je ne crois ni en Dieu, ni au darwinisme, ni en l’évolution. De toutes les hypothèses avancées pour expliquer l’origine de la vie et son développement sur Terre, je me tourne plus volontiers vers celles qui font actuellement consensus au sein de la communauté scientifique. Mais je n’ai pas besoin d’ajouter un acte de foi à cette préférence. Je conçois tout à fait que les scientifiques actuels puissent se tromper complètement sur ces sujets. Pour prendre des exemples disparates, je suis prêt à accepter la thèse selon laquelle je suis le descendant d’un organisme vivant apporté sur Terre il y a des centaines de millions d’années par des extra-terrestres.


Je suis également prêt à accepter l’idée que je descends d’un être créé par un Dieu il y a six mille ans. Même l’idée que je ne suis qu’un cerveau plongé dans une cuve et manipulé par un ordinateur ne m’offusque pas. Pour me tourner vers l’une de ces hypothèses, j’attends toutefois d’avoir devant moi quelques indices un peu plus convaincants que tous ceux que j’ai pu voir jusqu’à ce jour.

Pour l’instant, je me plais à étudier les débats autour du créationnisme. J’en ai retracé l’histoire dans Darwin hérétique. L’éternel retour du créationnisme (Le Seuil, 2007). Dans le petit texte que voici, tiré d’une conférence, j’étudie une question moins historique et plus philosophique : je me demande si le créationnisme peut être considéré comme une théorie scientifique. Vous verrez la réponse en fin du livre. Mais je me permets déjà de souligner un des résultats de cette réflexion : le créationnisme, en raison de sa prétention contestée à être une théorie scientifique, a le grand mérite de nous obliger à réfléchir à ce que signifie la notion de scientificité. Quelle que soit la pertinence de ses thèses, il a également le mérite de nous inciter à réfléchir à d’éventuelles limites de la théorie darwinienne de l’évolution ou, ce qui revient un peu au même, aux éventuelles exagérations de certains darwiniens à propos des réussites de cette théorie. Voilà pourquoi, même si je préfère le darwinisme au créationnisme, j’ai intitulé ce livre Vive le créationnisme! Ne doit-on pas toujours se féliciter de l’existence d’individus qui ne pensent pas comme nous-mêmes ? Cela nous aide effectivement à mieux réfléchir.

Pour conclure, je voudrais quand même faire remarquer que, si les analyses qui viennent d’être faites sont correctes, il faudrait arrêter de se référer à une soi-disant non-scientificité du créationnisme pour le critiquer. Parmi toutes les théories qui prétendent décrire l’histoire du vivant, il n’y aurait pas d’un côté les théories scientifiques, de l’autre les théories non-scientifiques ou pseudo-scientifiques. Il y aurait des théories plus farfelues que d’autres, des théories plus convaincantes que d’autres, et des théories éventuellement plus vraies que d’autres. Ces distinctions sont suffisantes pour privilégier ou pour mettre de côté une théorie. Ce qui montre bien que la délicate notion de scientificité, censée légitimer telle ou telle théorie et disqualifier telle autre, n’est pas vraiment utile dans les débats sur la pertinence du créationnisme [3].

Au risque de paraître un peu iconoclaste, je dirai même que le recours à cette notion de scientificité peut éventuellement être nuisible. Ceux qui l’utilisent pour rejeter le créationnisme ont en effet tendance à adopter une approche manichéenne du savoir. Pour eux, il semble y avoir d’un côté la science, le rationnel, le vrai; de l’autre, le dogme, l’irrationnel, le faux. Comme si tout était aussi simple ! Du coup, ils ont tendance à souhaiter la disparition des théories qu’ils qualifient de non-scientifiques. Quelle utilité pourrait avoir le dogme quand on peut recourir à la science? Reconnaissons qu’il peut être énervant d’être confronté à des théories que l’on estime farfelues. Ainsi, pour beaucoup de scientifiques et philosophes actuels, il est agaçant de voir des chrétiens fondamentalistes affirmer que la Terre a été créée il y a six mille ans. Pour ces mêmes scientifiques et philosophes, il est souvent déroutant de voir les promoteurs du dessein intelligent mettre Dieu au fond de leurs éprouvettes. Faut-il pour autant souhaiter vivre dans une société où l’adhésion et la diffusion des idées créationnistes auraient totalement disparu? Faut-il promouvoir une société où toute thèse jugée pseudo-scientifique appartiendrait uniquement à l’histoire ? Faut-il rechercher une société où tout le monde croirait uniquement ce qui fait actuellement consensus au sein de la communauté scientifique?

Très vraisemblablement, non. Cette uniformité des opinions risque en effet d’être un obstacle à la pensée critique. Imaginez une société où tout le monde se tournerait uniquement vers ce que professent les scientifiques reconnus. Une société où tout le monde aurait adopté la même vision de la nature. Une société où personne n’aurait le désir de contester les discours émanant des grandes instances scientifiques. Quelle sinistre situation ! Avez-vous déjà pensé au nombre de bêtises que se mettraient à professer les scientifiques si personne, à l’extérieur comme à l’intérieur de leur communauté, ne cherchait à déceler les failles possibles de leurs théories ? Imaginez quels seraient leur aveuglement et leur suffisance si personne ne venait critiquer leurs thèses, mettre en doute leurs théories et proposer d’autres représentations de la nature. Une société où il y a de la contestation, de la discussion, de la diversité d’opinions, et cela d’où qu’elles viennent, est certainement préférable. Non pas parce que toutes les visions du monde et toutes les théories se valent. Mais parce que même la pensée la plus rigoureuse a besoin de sentir qu’elle peut être contestée pour ne pas perdre ce qui fait sa force, à savoir sa rigueur. Que serait devenu le darwinisme si personne ne l’avait remis en cause depuis un siècle et demi? Une piètre théorie, probablement. Que serait devenue l’idée d’évolution si les évolutionnistes n’avaient pas eu à justifier sa pertinence contre tous ses contempteurs ? Une doctrine bien vague, vraisemblablement.

A l’encontre d’une opinion courante, je crois donc qu’il faut se réjouir de l’existence d’une contestation des théories scientifiques dominantes, même quand elle ne semble pas très bien fondée. Certes, il ne faut pas souhaiter que les thèses farfelues aient trop d’adeptes. C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à les critiquer, plus ou moins énergiquement suivant le cas. Mais il ne faut pas voir ces combats comme une perte de temps ou comme un anachronisme. Les débats que suscitent ces contestations sont des aiguillons de la réflexion. Ils sont, et je finirai là-dessus, le prix à payer pour que l’esprit critique ne disparaisse pas [4].

Notes

1. Les expériences de pensée permettent d’imaginer des situations très éloignées de celles que l’on a tendance à considérer comme « normales ». C’est ce qui fait, entre autres, leur intérêt. Si les erreurs de datation imaginées ici sont très importantes, il ne faudrait pas pour autant n’y voir qu’une simple spéculation gratuite. De fait, l’histoire des sciences nous rappelle que même les scientifiques modernes se sont parfois considérablement trompés en termes de datation. Par exemple, dans les années 1930-40, l’âge de l’univers, tel qu’il était alors calculé par les cosmologistes, était inférieur à celui de certains de ses constituants, dont la Terre ! Cette anomalie embarrassante perdura jusqu’au début des années 1950 quand une correction de la valeur de son taux d’expansion, d’un facteur pouvant aller jusqu’à dix, donna « un coup de vieux » à l’univers, ce qui lui permit d’apparaître enfin plus âgé que n’importe lequel de ses constituants. Ouf! Voir à ce sujet mon article : « Quand l’Univers était plus jeune que la Terre », Archives internationales d’histoire des sciences, 57 (158), 2007.

2. Dans tous les cas, refuser le titre de science au créationnisme traditionnel en raison de sa référence à la Bible pose un autre problème. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, de nombreux savants s’appuyaient sur la Bible pour développer des théories physiques. Pour ne prendre qu’un exemple, citons William Whiston qui, en 1702, succéda à Isaac Newton, dans la chaire de mathématique de l’université de Cambridge. En 1696, il avait publié une Nouvelle Théorie de la Terre (A New Theory of the Earth). L’histoire du globe terrestre s’y expliquait à coup de comètes. D’abord, la Terre était une ancienne comète stabilisée sur laquelle avaient commencé par régner des conditions édéniques. Malheureusement, elle fut frappée par un objet céleste qui inclina son axe de rotation et engendra son mouvement actuel. Whiston précisait que les premiers humains étaient ainsi punis pour leur péché originel. Par la suite, lors d’un passage dans la queue humide d’une comète, des pluies torrentielles s’étaient abattues durant quarante jours sur la Terre, ce qui bouleversa sa surface et continua de détruire sa configuration paradisiaque. Pour dater tous ces événements, Whiston effectua des calculs précis en utilisant les observations effectuées sur la fameuse comète de Halley. Il retrouvait les dates dues à l’archevêque irlandais James Ussher qui avait, en 1654, en s’appuyant sur la Bible, fixé la création de la Terre au 23 octobre 4004 av. J.-C. à 9 heures du soir, et placé le déluge en 2349 av. J.-C. Avec Whiston, le récit biblique était donc expliqué par des phénomènes naturels. Cette approche était assez répandue à l’époque. Retirer le titre de scientifique à tous les savants qui y avaient recours reviendrait à appauvrir considérablement l’histoire des sciences. Celle-ci ne doit-elle pas s’intéresser autant aux impasses qu’aux réussites des savants ?

3. Pourquoi défendre la possible scientificité du créationnisme pour finalement avancer que la notion de scientificité manque de pertinence dans les débats sur le créationnisme ? Il n’y a là aucun paradoxe. Nous avons montré qu’il est difficile de saisir au nom de quel principe le créationnisme ne pourrait pas être considéré comme scientifique. C’est pourquoi nous reconnaissons la scientificité du créationnisme. Pour la même raison, nous estimons que toute critique du créationnisme pour sa soi-disant absence de scientificité n’est pas pertinente (ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas des critiques tout à fait pertinentes du créationnisme). En somme, la notion de scientificité, utile pour souligner que le créationnisme est une théorie qui cherche à décrire le monde, ne l’est pas pour le critiquer.

4. Cette idée que l’existence de contradicteurs des théories dominantes est bonne pour l’esprit critique ne doit bien sûr pas être considérée comme une vérité définitive et universelle. Elle aussi a besoin de ses contradicteurs. Cela tombe bien : ils sont nombreux et certains savent, par leur attitude, très bien en souligner les faiblesses. Il se trouve en effet que des scientifiques se réclamant du darwinisme se braquent dès qu’ils entendent parler de créationnisme, que ce soit du créationnisme traditionnel ou du dessein intelligent. Au lieu de considérer que l’existence d’une telle doctrine peut inciter à réfléchir sur les fondements et les incertitudes de la connaissance, ces scientifiques tapent du poing sur la table et, oubliant le b.a.-ba de l’épistémologie, vitupèrent que le scénario de l’histoire du vivant qu’ils défendent n’est pas une théorie mais un fait. Renonçant à toute nuance, ils laissent même entendre qu’il faut être stupide pour accorder le moindre intérêt au créationnisme. À la vue de ce type de réaction, il faut manifestement conclure que l’existence des créationnistes n’est pas toujours enrichissante pour la réflexion. Il ne faut donc pas attribuer trop de vertu à l’existence de contradicteurs des théories scientifiques très bien établies. Mais ce type de réaction montre que l’on peut être à la fois scientifique et dogmatique. A défaut d’autre chose, l’existence du créationnisme a au moins le mérite de révéler ce trait de caractère de certains scientifiques. C’est déjà pas mal…

Références

Thomas Lepeltier, Vive le créationnisme. Point de vue d’un évolutionniste, éditions de l’Aube, 2009, 63 p.

Source : http://science.et.foi.free.fr/044f29a1021197913/044f29a1041107001/vivelecreationnisme.html



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