Ma difficile sortie de l’islam, moi, mariée à un salafiste

Je suis née et j’ai été élevée dans une famille maghrébine musulmane classique.

On fait le ramadan, on applique les restrictions alimentaires, on fait la prière, et surtout on est convaincu qu’Allah existe et que nous musulmans sommes privilégiés et meilleurs que ces pauvres mécréants, ignares et dépravés (parmi lesquels nous vivons). C’est un islam parfaitement pacifique et un Islam d’ignorance, car arrivant de grands-parents illettrés via des parents illettrés, qui nous ont transmis le peu qu’ils ont entendu par-ci par-là.

Certains aspects de l’Islam nous posent problème, comme, je pense, à la majorité des musulmans «de culture». Notamment le mariage avec une petite fille de six ans, l’esclavage légal, le statut de la femme, la violence de certains versets coraniques… Mais c’est notre religion, on n’a pas le choix, on fait avec, on trouve des excuses, on essaie de contextualiser. Et c’est bien souvent une démarche purement personnelle, qui ne se fonde sur aucune source tangible. Il s’agit de se convaincre soi-même.

Mais un peu plus tard, de nature curieuse, j’ai creusé et tenté de comprendre un peu mieux cette religion, j’ai lu le Coran (sans tout comprendre). J’étais particulièrement troublée par le destin, la prédestination. J’ai donc cherché des réponses, écouté énormément de conférences, posé beaucoup de questions à des imams. Pour moi, la prédestination n’avait aucun sens et mes questions gênaient plutôt les imams, qui finissaient invariablement par me reprocher de faire preuve d’une arrogance sans borne en tentant de comprendre la volonté d’Allah. Il fait ce qu’il veut comme Il veut et je suis une blasphématrice quand je multiplie ces questions et que je mets en doute la justice, la grandeur et la perfection d’Allah. J’étais donc priée de me remettre en question… et je l’ai fait, finalement.

Au début de ma quête, j’ai écouté Hassan Iquioussen ainsi que Rachid Haddach, des prédicateurs francophones qui embellissent la religion et en minimisent les horreurs.

C’est ce dont j’avais besoin à ce moment-là. J’avais besoin de me sentir convaincue. Dès lors, je me suis donc investie dans la religion, j’ai appris à faire certaines choses parce qu’Allah me le demande. Et il faut faire ce qu’Allah demande. J’ai démissionné de mon job et j’ai mis un petit hijab. Ça restait très soft.

Du coup j’avais du temps pour un peu mieux apprendre la religion et j’ai découvert notamment tous les châtiments promis aux mauvais musulmans. Et ça fait peur. J’avais alors cessé de me poser des questions – ce n’étaient que les insufflations du sheytan pour me faire dévier du bon chemin. J’avais entamé une vie où les notions de bien et de mal avaient disparues pour laisser place à celles de hlal et hram.

Il y a un verset génial dans le coran qui m’a beaucoup aidé à supporter toutes les contraintes:
«Il se peut que vous détestiez quelque chose alors que c’est un bien pour vous. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle vous est néfaste. C’est Allâh qui sait, alors que vous ne savez pas.» (Sourate Al Baqarah, verset 216)

Donc même des choses a priori détestables, on les fait. On met un jilbab, on se lève en plein milieu de la nuit pour prier. On jeûne régulièrement le lundi et le jeudi. La polygamie devient une bonne chose, puisque hlal. On admet que la femme est inférieure à l’homme, car c’est la volonté d’Allah. L’homme peut violer sa femme, c’est hlal. À l’inverse, écouter de la musique c’est mal; la mixité, serrer la main, c’est mal… Plus aucune valeur morale, en fait.

Et faire le bien devient certes une obligation, mais on ne fait le bien que par envie de la récompense, ce qu’on appelle fissabilillah [AJM: «dans le sentier d’Allah»]. Au fond, on ne cherche pas à être une bonne personne, car si tu fais suivre une mauvaise action par une bonne, la mauvaise est effacée… Et le summum de la bonne action, c’est de tuer pour Allah!

Voilà la vie de salafi… La différence avec Daesh réside dans le fait que le salafisme juge cet état (islamique) illégitime (ou plutôt le considère comme un concurrent) et estime que les conditions du djihad ne sont pas réunies. Mais si un jour un prédicateur saoudien décide de lancer une fatwa pour déclarer la guerre sainte contre l’Europe, les salafistes auront le devoir de prendre les armes…

Et un jour… tout a commencé à basculer.

Alors, en discutant avec des «islamophobes», je me rendais lentement compte que toutes ces questions, que j’avais mises de côté, n’étaient pas résolues pour autant. Et qu’elles étaient légitimes. Quand le doute s’est insinué en moi à ce niveau-là, j’ai commencé à paniquer. J’ai eu énormément de débats, de discussions… Ma force venait du fait que je ne cherchais pas à convaincre, mais à être convaincue. Je cherchais la vérité.

J’étais en plein questionnement et toujours à la recherche de la vérité, mon seul moteur. J’ai alors découvert un type, un Arabe non musulman du Moyen-Orient, qui diffuse des traductions de fatwas islamiques. Je l’ai interpellé en lui disant «OK cool, ces vidéos sont dégueulasses, mais somme toute ce sont des types que personne ne connaît, et que personne ne suit.»

Il m’a répondu: «D’accord, et qui suis-tu, toi?»

Entre parenthèses, il faut comprendre que, pour les salafistes, il y a Dieu, Mohamed, les salafs et juste après les savants. On boit leurs paroles. On ne peut pas les contredire, car (et ce n’est pas faux) ils ont étudié l’islam toute leur vie. Donc ils sont les plus aptes à comprendre et à transmettre le message. Au final, nos savants sont sacrés et nous avons une confiance quasi absolue en ce qu’ils disent.

Ensuite, il m’a présenté des vidéos et des textes de savants que j’admirais. Il m’a inondée de fatwas violentes ou farfelues de mes savants favoris. Une vidéo concernait le cheikh Al-Fawzan justifiant la peine de mort pour apostasie. Une autre du cheikh Al-Arifi expliquant tranquillement comment battre une femme pour la faire obéir. J’étais chamboulée. Après ces échanges en public sur un réseau social, nous avons beaucoup échangé en privé.

Un autre échange m’a marqué. Un jour j’ai vu Alain publier la photo d’une femme battue, avec œil au beurre noir, en justifiant ça par un verset du Coran. J’ai débattu avec lui à ce sujet, en mentionnant une exégèse rapportant que l’homme peut frapper sa femme mais pas dans le but de lui faire mal et il ne doit utiliser que le bâton de siwak, pas davantage.

Bref, je défendais cette position, et Alain m’a bloqué. J’ai été ravie… pendant peut-être deux secondes. Puis je me suis rendu compte de l’horreur que j’étais en train de défendre…. J’ai pleuré et je n’ai plus cru!

Je me suis demandée comment j’en étais arrivée là. Comment moi, la fille toujours un peu rebelle, pleine de joie de vivre, d’amour, de passion et d’ambition, j’en étais arrivée à défendre le droit d’un homme d’humilier sa femme. Ou plutôt ses femmes… Mais je refusais encore d’admettre que tout cela n’était que chimère. Je voulais croire. Je refusais d’assumer les conséquences (islamiques) du fait de ne plus croire.

J’ai fait part de mes «doutes» à une amie (musulmane) très pieuse et très érudite, en prenant soin de minimiser autant que possible le trouble qui me rongeait. Et là, j’ai reçu une véritable claque. Toutes ces choses horribles que je défendais et auxquelles je voulais croire sont parfaites, inattaquables, dans leurs froides réalités, dans le prisme de la foi. J’ai alors vu une femme intelligente, aimante, me justifier, comme je l’avais fait tant de fois moi-même, tout le bien-fondé des châtiments corporels, qui visent à assainir la société, qui ont avant tout un but dissuasif. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’on recommande d’y faire assister un maximum de gens, en leur recommandant de n’éprouver aucune pitié pour ces horribles pécheurs.

Nous avons aussi évoqué la sagesse de l’assassinat de l’apostat ou les bienfaits de la polygamie, pour prévenir l’adultère. Tout cela me paraissait enfin déraisonnable! C’était une bonne chose. Mais mécroire était encore au-dessus de mes forces. J’étais complètement perdue. Je n’étais plus assidue aux prières, mais l’arrêt de la prière signifie l’apostasie et je n’étais pas prête, j’étais effrayée par mes propres pensées. Je me levais parfois en plein milieu de la nuit pour rattraper les prières manquées et pour implorer le pardon de mon Seigneur. Je lui demandais un signe, un seul minuscule signe pour me guider. Et le lendemain je recommençais, je remettais tout en doute, tout en question. Mais mettre en doute l’existence-même de Dieu, c’était aussi remettre toute mon existence en question…

Le ramadan est arrivé. Je me suis dit que ce serait un moment décisif pour la suite. Qu’à terme je prendrai une décision, et que je m’y tiendrai. Je ne suis pas une personne indécise et le doute est pour moi la pire des choses. J’ai besoin de savoir où j’en suis. J’ai jeûné et prié tout le mois et j’ai regardé chaque jour des vidéos de The Masked Arab (traduites en français), j ai passé des heures à vérifier tout ce qu’il disait dans les sources islamiques. J’ai aussi découvert le «mariage» du prophète avec Safiya dans une vidéo d’un ex-converti, Ismaël Abu Adam. Et là aussi, tout venait directement des sources islamiques.

Au lieu de l’homme aimant et convaincant par sa piété et sa haute moralité que je m’imaginais, j’ai découvert un va-t-en-guerre qui massacrait ses opposants, terrorisait ses ennemis et était obsédé par le sexe. J’en ai été profondément écœurée. L’image de mon Prophète parfait, que j’aimais plus que mes propres parents, était brisée en mille morceaux, définitivement salie, souillée.

J’ai alors pu réaliser que le Dieu pour lequel j’avais fait tant et tant de sacrifices au mieux n’existait pas, au pire était un sadique misogyne.

Je me suis rendu compte que ce que je croyais n’existait pas. Que j’avais fantasmé un Dieu et un Prophète, que cette religion avait fait de moi non seulement une femme soumise et malheureuse mais aussi un monstre capable de défendre l’indéfendable.

Dans un sentiment de désastre accompli, j’ai pris sans trop y penser mon téléphone, et j’ai créé ce compte. J’ai choisi Kafira comme pseudo, comme pour réaliser moi-même, pour matérialiser ce que j’étais en train de faire. Kafira, l’infidèle, celle qui mécroit, qui renie Allah, qui rejette sa religion.

Et j’ai écrit ce témoignage: pas de dieu, et Mohamed n’est pas un prophète. Écrire cette phrase a été très difficile. Je savais que je franchissais un pas décisif.

Après avoir publié ce tweet, je m’attendais à ce que la terre cesse de tourner, ou à subir un châtiment avilissant, qu’il se passe quelque chose, quoi.

Mais j’ai simplement dormi comme un bébé…

Source : https://www.islam-et-verite.com/ma-difficile-sortie-de-lislam-moi-mariee-a-un-salafiste/



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