Le tombeau de Caïphe

http://www.interbible.org/interBible/decouverte/archeologie/2002/arc_020517.htm

En1990 on aménagea une promenade pour piétons dans une petite forêt au sud de Jérusalem. Soudain, un grand trou s’ouvrit sous les yeux des travailleurs :  c’était l’effondrement d’une partie du plafond d’un tombeau ancien. On alerta aussitôt le services des Antiquités de la ville, qui fouilla aussitôt ce tombeau, bien qu’un grand nombre d’installations du même genre existe dans la région, datant toutes du 1er siècle avant J-C et du 1er siècle après J-C. La présente découverte est tout à fait conforme à ce contexte déjà connu, mais elle nous réservait toutefois quelques surprises.

Plan du tombeauFigure 1 : Plan du tombeau
Le tombeau, entièrement creusé dans le roc, consiste en une salle centrale sur laquelle donnent un cubicule pour y déposer des ossements et quatre « fours » (fig. 1, I à IV). On appelle « four » (kokh) une chambrette creusée perpendiculairement à la paroi de la salle, dont le sommet arqué lui donne bien l’aspect d’un four. Ces « fours » mesurent en moyenne 1,90 m de profondeur, 46 cm de largeur et 60 cm de hauteur. On y dépose le corps des défunts; quand les os sont complètement décharnés, on les recueille dans un petit coffret de calcaire tendre, qu’on appelle « ossuaire », ordinairement inscrit au nom du ou des défunts, que l’on range ensuite le long des parois de la salle et même dans les « fours » eux-mêmes. Il s’agit donc, en fait, d’une seconde sépulture. Ce type de sépulture n’a été utilisé par les Juifs qu’au cours de la période mentionnée plus haut. Ce n’est que très rarement qu’on y a encore recours après 70 après J.-C. On a pu compter dans le présent tombeau au moins douze ossuaires; une dizaine d’entre eux avaient été saccagés par des violeurs de tombes, dès l’Antiquité, mais deux étaient restés intacts, dans le four IV, et allaient susciter un vif intérêt, comme on va le comprendre plus loin.

Les ossuaires, toujours présents dans les tombeaux de cette époque, étaient creusés dans un bloc de calcaire tendre, pour en faciliter la décoration et les inscriptions. Ils peuvent être laissés sans ornement, mais ordinairement on grave sur leurs parois des motifs géométriques (triangles, torsades, chapelets, etc.), floraux (palmiers, oliviers, rosettes) et architecturaux (colonnes, frontons, chapiteaux). Cinq des ossuaires du tombeau nouvellement découvert étaient inscrits aux noms des défunts. Il est déjà intéressant de lire sur l’un d’eux: Miriam bat Shim’ôn (Marie fille de Simon), noms bien connus à l’époque sur d’autres ossuaires et dans le Nouveau Testament.

Une première surprise majeure à signaler, c’est la découverte dans le crâne d’une femme d’une pièce de monnaie frappée au nom d’Hérode Agrippa I, et datée de l’an 42/43 après J.-C. C’est la première fois qu’on trouve, à Jérusalem, la coutume de mettre une pièce de monnaie dans la bouche du défunt au moment de la première sépulture; elle était déjà attestée à Jéricho, à la même époque. C’est là une pratique d’origine grecque: on donne au défunt la monnaie dont il aura besoin pour payer Charon, le batelier du Styx, le fleuve fougueux du monde des morts, que tout défunt doit traverser. C’est là un autre indice de l’étendue de l’influence culturelle étrangère sur la foi et la culture juives depuis le Ier siècle avant J.-C.

ossuaireFigure 2 : Le petit ossuaire
Ossuaire de Josèphe Caïphe

Figure 3 : Ossuaire de Joseph Caïphe
Ier siècle de notre ère
Calcaire
Collection Israel Antiquities Authority
© Musée d’Israël, Jérusalem

La deuxième surprise à signaler de façon plus insistante nous vient des deux ossuaires encore en place dans le « four IV ». Un premier, plus petit que le second (fig. 2), n’était décoré que de deux rosettes simples à cinq pétales: il était inscrit, sur ses deux petits côtés, du seul nom: QF’, « Qafa ». (fig. 4C). Il renfermait les ossements de cinq individus (une femme adulte, un adolescent, deux enfants de 7 ans et un nouveau né). Le second ossuaire (fig. 3) est tout à fait exceptionnel: tout d’abord il est très richement décoré sur un de ses longs côtés par deux groupes de six rosettes inscrites dans des cercles; des bandes de motifs végétaux ornent trois de ses bords. Un si riche décor ne peut que souligner la richesse ou la notoriété du défunt qui est déposé dans l’ossuaire. Deux inscriptions sont disposées sur les petits côtés: on peut y lire: YWSF BR QF’ (Joseph fils de Qafa; fig. 4A) et YWSF BR QYF (Joseph fils de Qaifa; ). L’ossuaire contenait les ossements de six individus (deux enfants de moins de 2 ans, deux enfants de 2 à 5 ans, une femme de 40 ans et un homme de 60 ans environ).

On est aussitôt frappé par la mention du nom de Qafa, dans sa graphie hébraïque et Qaifa, le même nom sous sa forme araméenne. De toute évidence il s’agit bien du nom Caïphe, nom du grand prêtre de Jérusalem qui fut mêlé au procès de Jésus. Ce Caïphe nous est connu uniquement par les textes du Nouveau Testament (Mt 26,3.57; Lc 3,2; Jn 11,49; 18,13-28; Ac 4,6) et les écrits de l’historien juif Flavius Josèphe, dans la deuxième moitié du Ier siècle après J.-C.; ces deux sources supposent sa graphie araméenne en écrivant, en grec, Kaïfas. Son nom n’avait jamais été lu en dehors de ces sources.

Est ce que l’ossuaire de notre tombeau appartiendrait à ce même Caïphe? Les ossements de l’homme de 60 ans seraient ils ceux de Caïphe lui même? Il nous est permis d’en faire l’hypothèse, dont la vraisemblance paraîtra plausible à des degrés divers pour plusieurs savants.

Un premier point à souligner c’est que le nom Qafa/Qaifa est de fait un surnom: c’est Flavius Josèphe qui nous l’assure, écrivant soit « Joseph Kaïafas », soit « Joseph qui est appelé Kaïafas ». On voit bien que le vrai nom de ce grand prêtre est Joseph, et que Kaïafas est une précision qui identifie davantage le personnage. On se souvient que l’apôtre Simon a reçu aussi un surnom, Petros (Pierre), qui est la simple traduction de Qafa/Qaifa!

Comme ce surnom est attribué, sur notre ossuaire, à un Joseph, et que c’est aussi Joseph qui était le vrai nom du grand prêtre mêlé au procès de Jésus, on comprend donc facilement qu’il se pourrait bien que le tombeau en question soit celui de sa famille, et que l’ossuaire inscrit du nom de « Joseph fils de Qaïfa » soit son propre ossuaire. La date du tombeau d’après le style de son aménagement, les lampes et les monnaies qu’on y a trouvées correspond bien à son époque, soit le milieu du Ier siècle après J-C. La seule objection sérieuse qu’on pourrait soulever est le mot « fils de » entre Joseph et Qaifa: d’après la formule, le tombeau serait celui d’un des fils de Caïphe et non celui du père. Il est toutefois aussi connu que « fils de » dans ces inscriptions funéraires peut aussi introduire un surnom. Mais il faut reconnaître qu’un doute persistera encore longtemps sur la vraie identité du personnage à cause de ce petit « fils de »!

Une dernière remarque amusante: les ossuaires étaient achetés tout faits; c’est dans le tombeau seulement que les scribes les inscrivaient, une fois remplis de leurs ossements. Ceci explique que toutes ces inscriptions funéraires sont de simples graffiti, c’est à dire gravées ou égratignées à la pointe dure. Voilà pourquoi deux gros clous de fer gisaient encore sur le sol de la salle principale du tombeau!

Guy Couturier, CSC
Professeur émérite, Université de Montréal

Source: Parabole xvi/1 (1993).



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