La surmédicalisation qui détruit la santé

Du surdiagnostic au surtraitement, la médecine qui détruit !

On nous le répète sur toutes les antennes et sur tous les tons : faites-vous dépister ! De tout et de n’importe quoi, notamment du cancer du sein, du côlon, de la prostate, etc. Mais on passe pudiquement sous silence les dangers réels que nous font courir les dépistages systématiques et, au delà des risques d’erreur, le stress inévitable qu’entraîne une recherche de diagnostic le plus souvent invasive, donc traumatisante, l’attente angoissée et parfois longue de son résultat, et surtout le risque de surdiagnostic.

Qu’est-ce donc qu’un surdiagnostic ? C’est souvent le constat de la présence d’une maladie réelle mais « dormante » dont le patient n’aurait jamais eu conscience et qui ne lui aurait causé aucun dommage si les médecins ne l’avaient pas précipité dans le cercle vicieux des traitements agressifs et de l’anxiété permanente, dont chacun sait qu’elle est par elle-même un facteur d’affaiblissement du système immunitaire. C’est parfois aussi un jugement médical excessivement pessimiste, déduisant de certains symptômes légers que la personne examinée est malade alors qu’elle ne l’est pas. Le médecin « consciencieux », toujours effrayé à l’idée de n’avoir pas décelé une maladie qui pourrait se révéler par la suite, préfèrera toujours d’instinct le surdiagnostic au sous-diagnostic, considérant à tort qu’il vaut mieux traiter « à tout hasard » une maladie hypothétique plutôt que ne pas voir une maladie vraiment présente. Mais en fait, pour les raisons données précédemment, c’est une erreur car le surdiagnostic est tout aussi dangereux que le sous-diagnostic, outre qu’il offre l’inconvénient supplémentaire de creuser inutilement le trou de la Sécu.

LES FRANÇAIS SONT-ILS TOUS DEVENUS HYPOCONDRIAQUES ?

Mais les médecins ne sont pas les seuls responsables des surdiagnostics. Ils sont bien souvent harcelés par des patients impatients qui tiennent absolument à être soumis à tous les examens possibles et imaginables afin qu’on leur découvre coûte que coûte une maladie quelconque. Et n’oublions pas que les analyses et les examens réitérés, sans compter les radiographies et autres scanners, font vivre toute une armée de professionnels de santé.

Quant aux surtraitements, ils font les délices des laboratoires dont l’industrie florissante se garde bien de mépriser la pilule de trop. Tout ceci entretient un climat général de « maladies latentes » qui finit par imprégner toute la société et à rendre chaque Français plus ou moins hypocondriaque. Beaucoup de gens, notamment de seniors, finissent par être victimes d’une obsession de la maladie qui débouche à terme sur une surmédicalisation et sur une débauche d’examens de toute sorte qui, loin de protéger leur santé, la ruinent au contraire, et ruinent en même temps l’économie nationale, l’Etat devant compenser par nos impôts le déficit croissant de la Sécurité sociale.

J’ai connu personnellement un monsieur de 72 ans que son médecin avait aisément persuadé de faire tous les deux ans une biopsie de la prostate alors qu’il ne souffrait de rien si ce n’est d’envies d’uriner plus fréquentes que dans sa jeunesse, ce qui est tout à fait banal. Or, une biopsie de la prostate n’est nullement anodine. Elle consiste à prélever par voie rectale, au moyen d’une aiguille, une « carotte » de tissu prostatique afin de l’analyser et de détecter d’éventuelles cellules cancéreuses. Le geste du médecin est effectué 8 à 10 fois de façon rapide. À qui fera-t-on croire que ce « simple examen » ne cause aucun traumatisme à la glande, a fortiori s’il est répété périodiquement ?

LA THYROÏDE ENCORE PLUS VISÉE QUE LA PROSTATE

Bien entendu, la France n’est pas le seul pays à souffrir de cette médicalisation excessive, bien qu’en cette matière elle monte sur le podium plus facilement qu’aux Jeux Olympiques. C’est ainsi qu’en ce qui concerne, par exemple, le surdiagnostic du cancer de la thyroïde, une douzaine de pays lui font concurrence, notamment l’Italie, les États-Unis et la Corée du Sud, cette dernière remportant la médaille d’or « grâce » à un système de dépistage très organisé. Le New England Journal of Medicine a publié le 18 août 2016 une étude effectuée par des scientifiques du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de Lyon et de l’Institut national du cancer italien, d’où il ressort qu’en vingt ans, dans les douze pays considérés, plus de 470 000 femmes et 90 000 hommes auraient eu un surdiagnostic de cancer de la thyroïde ayant entraîné chez toutes ces personnes une ablation inutile de cette glande. Seulement inutile ? Disons plus exactement néfaste, car le rôle de la thyroïde dans notre organisme n’est pas superflu.

LES MAMMOGRAPHIES EN QUESTION

Mais le cancer du sein demeure certainement le champion du surdiagnostic. Depuis de nombreuses années, les risques entraînés par des mammographies répétées sont dénoncés par des médecins et divers organismes ainsi que par des périodiques spécialisés dans les questions de santé, notamment Santé Nature Innovation ou la revue Prescrire. Dès l’année 2000, les Danois Peter Gotzsche et Ole Olsen de la Collaboration Cochrane, association internationale indépendante, avaient remis en cause dans The Lancet les conclusions des études montrant les bénéfices du dépistage. Début 2012, l’association précisait que si 2000 femmes sont examinées régulièrement pendant dix ans, une seule d’entre elles évitera la mort par cancer du sein, mais dix femmes en bonne santé seront traitées inutilement. Sans oublier le fait que 1 cancer sur 1000 serait induit par la mammographie elle-même, dont les irradiations ne sont pas sans danger. Plus le sein est jeune, plus il y est sensible. C’est pourquoi le dépistage systématique n’est pas proposé avant 50 ans, mais c’est encore trop jeune selon certains avis.

Beaucoup de gens, notamment de seniors, finissent par être victimes d’une obsession de la maladie qui débouche à terme sur une surmédicalisation et sur une débauche d’examens de toute sorte qui, loin de protéger leur santé, la ruinent au contraire.

En octobre 2012, L’association UFC-Que choisir avait relancé le débat dans Que choisir santé, en dénonçant les diagnostics erronés et les traitements inutiles. L’association déclarait : « Trois épines égratignent le choix éclairé des Françaises : une information partielle et obsolète, des injonctions pressantes et culpabilisantes et des médecins intéressés financièrement ». Et Alain Bazot, le président de l’association, demandait aux pouvoirs publics le réexamen des données scientifiques par un collège d’experts indépendants. « L’information donnée aux femmes occulte cette controverse, c’est plutôt du matraquage, pour ne pas dire de la propagande », avait-il ajouté. Il demandait aussi un moratoire sur l’intégration de l’indicateur « dépistage du sein » dans la rémunération à la performance des médecins.

« Rémunération à la performance » ? Mais oui ! Ce qui signifie que les médecins sont directement intéressés financièrement à la multiplication des dépistages. Cela, bien évidemment, dans les meilleures intentions du monde, mais je ne puis m’empêcher pour ma part d’y voir une forme de corruption, ou tout au moins une incitation excessive pouvant déborder chez certains le seul souci d’être utile à la patiente. Une étude publiée le 2 avril 2014 dans le Journal of The American Medical Association alertait sur la sous-estimation des risques liés à la mammographie utilisée comme outil de dépistage, la conséquence étant un surdiagnostic affectant 19 % des femmes concernées. Selon le Dr Nancy Keating, professeur adjointe de médecine à l’Hôpital Brigham and Women’s et coauteur de cette analyse, ce surdiagnostic conduirait de nombreuses femmes à se faire opérer de tumeurs non réellement dangereuses. Or il est impossible, avec les techniques actuelles, de savoir quelle tumeur restera bénigne ou nécessitera un traitement. D’après les chercheurs, 36 des 190 femmes de l’échantillon subiront inutilement une intervention chirurgicale, de la chimiothérapie et/ou de la radiothérapie. Et plus de la moitié des femmes soumises à une mammographie annuelle pendant une décennie peut s’attendre à un résultat faussement positif requérant davantage de tests dont 20 % de biopsies inutiles. Toutes ces informations amènent à la conclusion que parmi les dangers qui menacent notre santé figure en bonne place… la médecine elle-même.

Pierre Lance 

Source : Alternatif Bien-Être n° 123, décembre 2016.



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