La marchandisation des nouveaux-nés

Un couple qui avait acheté un nourrisson à une mère porteuse, puis se l’était fait retirer, a finalement obtenu la garde du bébé. Un verdict qui relance le débat sur la gestation pour autrui en France. Peut-il faire jurisprudence ? Notre contributrice, juriste, met en garde contre les dérives que peut engendrer une telle décision.

C’est l’histoire d’une femme roumaine, mère de plusieurs enfants, qui veut vendre le prochain à naître.

Un jeune couple – 27 et 26 ans – dont le désespoir n’est pas à son comble, puisqu’ils ont le temps de faire des démarches pour une adoption, achète cet enfant pour plusieurs milliers d’euros. Pour ce faire, ils passent par des intermédiaires, deux organisateurs de trafics d’enfants. Lesquels seront mis en examen et incarcérés.

Le couple, lui, est mis en examen, notamment, pour « entremise lucrative pour abandon, provocation à l’abandon et obtention frauduleuse de documents administratifs ».

L’enfant est évidemment retiré aux acheteurs et confiés à l’Aide sociale à l’enfance.

Frauder la loi et se voir reconnaître des droits

Ce que nous apprenons des divers articles qui reprennent, tous, les arguments de l’avocate du couple acheteurs :

« L’enfant qui était jusqu’alors vif et éveillé, a rapidement dépéri. Il s’est tellement renfermé que les services sociaux ont craint que cela ne touche son développement psychomoteur. »

Diagnostic très étonnant ! Les services sociaux sont à même de faire des constats sur la santé de l’enfant en bas-âge (il est né en juillet 2013), ils peuvent poser un lien de causalité entre cet état et la séparation d’avec ses « parents », et même juger du risque éventuel sur son développement psychomoteur.

Pour combien d’autres enfants ce diagnostic est-il posé ? Et un tel diagnostic justifie-t-il qu’un juge accorde des droits sur cet enfant à des personnes qui ont fraudé la loi pour l’obtenir ?

Le juge de Nancy a estimé que oui. Au nom de l’intérêt de l’enfant. En quoi est-il dans l’intérêt de l’enfant d’être vendu comme un marchandise ? Pourquoi ne pas l’avoir sorti de la pouponnière pour le confier à un couple qui aurait pris soin de lui ?

Un juge peut confier un bébé à toute personne de confiance qu’il estime pouvoir répondre aux besoins de l’enfant. En quoi un couple de fraudeurs et mis en examen est-il digne de confiance ? Peut-on se créer de nouveaux droits en violant la loi ?

Quel est l’intérêt de l’enfant quand il est objet de commerce ?

Rappelons que c’est un enfant de quelques mois seulement et qu’il est fort probable que, confié à un couple, quel qu’il soit, l’état de cet enfant se serait amélioré.

En admettant même que c’était dans sont intérêt d’être rendu aux seuls parents qu’il connaissait, l’intérêt propre de cet enfant est-il supérieur à l’intérêt général des enfants et de la société ? Ou se situe l’intérêt de l’enfant quand il est objet de commerce ? Comment la société pourrait-elle accepter que des couples puissent acheter des enfants comme ils achèteraient un téléviseur ?

En droit français, la fraude à la loi entraîne la nullité du contrat, quel qu’il soit. Mais ici, la fraude donne des droits.

Une décision qui encourage l’achat d’enfants en France

L’avocate du couple qui ne cache pas sa joie face à cette décision hallucinante pense que celle-ci « pourrait faire jurisprudence et relancer le débat sur les mères porteuses ».

Il est à craindre, en effet, que cette décision encourage d’autres couples à acheter des enfants sur le territoire français. Les parents-acheteurs pourront toujours mettre en avant l’intérêt de l’enfant, comme le font déjà les parents des enfants nés d’une GPA et qui ont été entendus par la justice comme l’a été ce couple fraudeur à l’adoption par le juge de Nancy.

Entre la GPA illégale dans le texte mais autorisée de fait, l’achat de bébé interdit en France mais validé par un juge, dès lors qu’il remet un enfant à un couple qui a participé à un trafic d’êtres humains, ne sommes-nous pas en présence de l’ouverture d’un nouveau marché de l’enfant, désormais parfaitement accessible aux couples français ?

Caution d’un juge et sanctions pénales ?

Quelles conséquences sur la mise en examen de ce couple ? Ils sont reconnus par un juge comme étant des personnes de confiance puisqu’un enfant leur a été confié et ils seront sans doute autorisés à adopter.

Que fera le tribunal qui aura à se prononcer sur leur fraude à la loi ? Nul doute que l’avocate du couple a des arguments imparables servis par un juge. Même s’ils sont condamnés, la sanction ne pourra être que symbolique. Est-ce qu’on peut même imaginer un sursis alors que l’enfant acheté leur a été confié ?

De fait, le juge voulant protéger l’enfant n’a-t-il pas en réalité protégé les acheteurs ? Ils s’en sortiront sans doute avec une simple amende. Et apparemment, ils ont les moyens, puisqu’ils ont versé plusieurs milliers d’euros pour s’acheter un bébé. Là encore, comme pour la GPA, le mal d’enfant peut être soigné pour les riches, les pauvres ont intérêts à êtres fertiles !

L’enfant, quant à lui, est à disposition de ceux qui ont les moyens de l’acheter.

Source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1239393-l-achat-d-un-bebe-autorise-par-la-justice-l-enfant-nouvelle-marchandise-pour-riches.html



Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.