L’homme de Galilée

« À la naissance de Jésus, l’espoir vibrant qu’un être merveilleux était sur le point d’apparaître était généralisé parmi les Judéens.

Ils se languissaient d’avoir la preuve que Jéhovah avait l’intention de maintenir l’Alliance avec son peuple élu, et les scribes, réagissant à la pression de ce désir populaire, avaient progressivement introduit dans les Écritures l’idée de l’Oint, du Messie, qui viendrait remplir son engagement.

Les Targams – les commentaires rabbiniques de la Loi – disaient : “Comme il est beau, le roi Messie qui s’élèvera de la maison de Juda. Il se préparera et s’avancera pour la bataille contre ses ennemis, et de nombreux rois seront tués.”

Ce passage montre que les Judéens avaient été amenés à espérer. Ils attendaient un Messie militant et vengeur (dans la tradition de “tous les premiers-nés d’Égypte” et de la destruction de Babylone) qui briserait les ennemis de Juda “avec une verge de fer” et “les mettrait en pièces comme un vase de potier”, qui leur amènerait l’empire de ce monde et l’accomplissement littéral de la loi tribale ; car c’était ce que des générations de pharisiens et de Lévites avaient prédit.

L’idée d’un Messie humble qui dirait “aime tes ennemis” et serait “méprisé et rejeté des hommes, un homme de douleur” n’était pas du tout présente dans l’opinion publique et aurait été “méprisée et rejetée” si quiconque avait amené l’attention sur ces paroles d’Isaïe (qui ne prirent leur sens qu’après que Jésus eut vécu et fut mort).

Pourtant, l’être qui apparut, même s’il était humble et enseignait l’amour, prétendait apparemment être ce Messie, et fut acclamé comme tel par de nombreuses personnes !

En quelques mots, il balaya la totalité de la politique raciale que la secte dirigeante avait entassée par-dessus l’ancienne loi morale, et tel un archéologue, ramena au grand jour ce qui avait été enterré. Les pharisiens reconnurent immédiatement un “prophète et rêveur de rêves” des plus dangereux. […]

La Loi, quand Jésus arriva pour l’ « accomplir », était devenue une énorme masse de législations, étouffante et fatale dans son immense complexité. La Torah n’était que le début ; empilés dessus, se trouvaient toutes les interprétations, tous les commentaires et les jugements rabbiniques ; les sages, tels de pieux vers à soie, tissaient le fil toujours plus loin dans l’effort d’y prendre toutes les actions humaines imaginables ; des générations de législateurs avaient peiné pour en arriver à la conclusion qu’un œuf ne doit pas être mangé le jour du Sabbat si la plus grande partie en a été pondue avant qu’une seconde étoile soit visible dans le ciel.

Déjà, la Loi et tous les commentaires nécessitaient une bibliothèque à eux seuls, et un comité de juristes internationaux, à qui on aurait fait appel pour donner leur opinion auraient mis des années à passer au crible les couches accumulées.

Le jeune homme sans instruction venu de Galilée tendit un doigt et balaya la pile entière, révélant en même temps la vérité et l’hérésie. Il réduisit “toute la Loi et les prophètes” à ces deux commandements : Aime Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même. C’était l’exposition et la condamnation de l’hérésie fondamentale que les Lévites et les pharisiens, au cours des siècles, avaient entrelacée dans la Loi.

Le Lévitique contenait l’injonction “Aime ton prochain comme toi-même”, mais elle était régie par la limitation du “prochain” à ses semblables Judéens. Jésus rétablit alors la tradition ancienne et oubliée de l’amour du prochain sans distinction de race ou de croyance ; c’était clairement ce qu’il signifiait par les mots : “Je ne suis pas venu pour détruire la Loi, mais pour l’accomplir.” Il en rendit la signification évidente quand il ajouta : “Vous avez entendu ce qu’il a été dit… Tu haïras ton ennemi. Mais je vous dis : Aimez vos ennemis.” (On fait quelquefois l’objection rusée que le commandement spécifique “Tu haïras ton ennemi” n’apparaît nulle part dans l’Ancien Testament. Ce que Jésus voulait dire était clair : les innombrables injonctions au meurtre et au massacre des voisins qui n’étaient pas des « prochains », dont l’Ancien Testament abonde, requéraient assurément la haine et l’hostilité.)

C’était un défi direct à la Loi telle que les pharisiens la représentaient, et Jésus amena le défi plus loin en refusant délibérément de jouer le rôle du libérateur et du conquérant nationaliste du territoire pour lequel les prophéties avaient lancé l’idée du Messie. Il aurait probablement pu avoir beaucoup plus de disciples, et peut-être le soutien des pharisiens, s’il avait accepté ce rôle.

Son reproche, à nouveau, fut laconique et clair : “Mon royaume n’est pas de ce monde… Le royaume des cieux est en vous… Ne vous amassez pas de trésors sur la terre… mais amassez-vous des trésors dans les cieux, où ni les mites ni la rouille ne détruisent, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent.”

Tout ce qu’il disait, avec des mots aussi simples que ceux-là, était un défi calme mais franc aux hommes les plus puissants de son temps et de son lieu, et un coup porté aux fondations de la doctrine que la secte avait élaborée au cours des siècles.

Ce que la totalité de l’Ancien Testament enseignait dans des centaines de pages, le Sermon sur la montagne le réfutait en quelques mots. Il opposait l’amour à la haine, la miséricorde à la vengeance, la charité à la malveillance, l’amitié entre voisins à la ségrégation, la justice à la discrimination, l’affirmation (ou la réaffirmation) au déni, et la vie à la mort. »

Douglas Reed, La Controverse de Sion (1956)


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