CRISPR-Cas9 ou le forçage génétique : l’objectif est l’ouverture de nouveaux marchés

La technologie de l’extinction : le forçage génétique

Le « forçage génétique », un nouveau procédé de modification fine des gènes, s’implante peu à peu dans tous les laboratoires du monde. Pour surmonter le débat éthique, ses défenseurs proposent d’éradiquer des populations entières de nuisibles, comme les moustiques et les prédateurs endémiques, bien que l’on ne connaisse pas les effets peut-être irréversibles d’une intervention de l’être humain au cœur même de la vie.

Remplacer les gènes héréditaires par des gènes artificiels

Vous n’en avez certainement pas entendu parler, mais cette invention courra bientôt sur toutes les lèvres. À l’extrême pointe des biotechnologies et de l’ingénierie du vivant, le « forçage génétique » est sur le point de se tailler une place de choix dans le monde de demain.

Cette technique ultra-moderne de modification de l’ADN — aussi nommée « guidage génétique » (ou « gene drive » en anglais) — consiste à introduire, au sein d’un individu ou d’un groupe donné, de nouveaux gènes capables de se répliquer eux-mêmes de génération en génération, jusqu’à ce que les individus génétiquement modifiés remplacent les précédents.

Autrement dit, le forçage génétique court-circuite les lois de l’hérédité en « forçant » une population, voire une espèce tout entière, à conserver des gènes artificiels et à les transmettre à sa descendance, alors qu’en temps normal, une caractéristique portée par un chromosome n’a qu’une chance sur deux de parvenir à la génération suivante.

Les plantes, les animaux, les insectes et même les êtres humains, tout le vivant est susceptible d’être modifié par cette sulfureuse découverte, qui à la différence de la transgénèse et des OGM, a pour particularité d’être applicable à des espèces sauvages.

Pour reprendre les mots du journaliste Stéphane Foucart, il est désormais possible à l’homme « ni plus ni moins d’éditer la nature ».

L’idée de forcer la nature à adopter des gènes conçus et déterminés par l’être humain existe depuis que le génie génétique s’est emparé de la lutte antivectorielle, c’est-à-dire contre les agents pathogènes transmissibles à l’homme par les différentes espèces nuisibles, comme les rats ou les moustiques.

Mais c’est la découverte et l’avènement d’une nouvelle méthode de modification du génome, sobrement baptisée CRISPR-Cas9 ou « ciseaux moléculaires », dans les années 2010, qui a ouvert une voie royale au forçage génétique. Contrairement à ses prédécesseurs, l’outil CRISPR-Cas9 est plus ciblé, plus efficace et bien moins coûteux : qualifié de « couteau suisse » de la génétique, il permet de supprimer, modifier ou ajouter des gènes à volonté, et de créer ainsi des organismes génétiquement modifiés à la chaîne.

Alors qu’il fallait auparavant de longs mois, voire plusieurs années pour faire muter les gènes d’un insecte ou d’un animal, avec des résultats plus qu’aléatoires, les scientifiques peuvent désormais obtenir des espèces mutantes en quelques semaines. Tout à coup, une invention vient clore un demi-siècle de recherches fastidieuses sur l’ADN ; à présent, tout est possible, tout est permis dans le domaine de la génétique, qui a sûrement connu sa plus grande révolution.

Une technique déjà envisagée comme arme de destruction massive

Mais si vous croyez que ces découvertes se cantonneront à la santé et au bien public, détrompez-vous : en 2016, le patron du renseignement américain n’a pas hésité à classer l’outil CRISPR-Cas9 parmi les armes potentielles de destruction massive.

Chiens dont la masse musculaire est doublée, vaches laitières sans cornes, champignons de Paris qui ne noircissent plus, enfants jumelles génétiquement modifiées, la folie humaine a trouvé dans cet outil son nouveau terrain de prédilection. Très lucratif, d’ailleurs.

Au point où nous en sommes, il n’y a qu’un pas à faire jusqu’à l’eugénisme, le transhumanisme et l’ouverture d’un « marché aux gènes » où des parents assez fortunés pourraient choisir les caractéristiques de leurs enfants. Mais d’encombrants problèmes d’éthique et une certaine réticence de la population freinent encore le développement de cette innovation, qu’on tend à comparer à celle d’internet.

Voilà pourquoi depuis quelques années, il s’agit surtout de vanter les bénéfices de la modification d’ADN, en lui trouvant des applications directes et consensuelles, notamment dans le domaine des maladies.

C’est ici qu’intervient le forçage génétique. Selon ses promoteurs, il pourrait permettre d’éradiquer toutes les espèces de moustiques transmettant des maladies endémiques, comme le paludisme, la dengue, le chikungunya, ou la fièvre Zika, qui touchent des centaines de millions de personnes, sur des continents entiers. À lui seul, le paludisme fait chaque année environ 400 000 morts : c’est donc un argument redoutable.

En septembre 2018, des chercheurs de l’Imperial College de Londres (Royaume-Uni) ont publié dans la revue Nature Biotechnology une étude qui a fait grand bruit. Les scientifiques ont en premier lieu introduit dans 150 moustiques mâles de la race Anopheles gambiae (vectrice de paludisme) un gène récessif de stérilité ; ensuite, ils ont confiné ces 150 mâles génétiquement modifié avec 150 mâles sauvages et 300 femelles.

Et le résultat est foudroyant : en une dizaine de générations seulement, toute cette population de moustiques était supprimée. Éradiquée. Le gène s’était propagé d’abord sourdement, puis de manière fulgurante et exponentielle.

Dans une autre étude publiée par la même revue, les chercheurs de l’Imperial College ont proposé, le 11 mai dernier, de disséminer des moustiques mâles porteurs d’un gène faisant s’effondrer peu à peu les chromosomes X de la population cible, ce qui aurait pour effet d’éradiquer purement et simplement les femelles.

Un essai grandeur nature a déjà eu lieu en Afrique

Très intéressée par le forçage génétique et le promouvant à l’échelle mondiale, la Fondation Bill & Melinda Gates (pro-OGM) finance actuellement un grand projet de recherche, « Target Malaria ». Sous prétexte de lutte contre le paludisme, les philanthropes ont investi 60 millions d’euros dans un consortium de plus de 150 chercheurs africains et occidentaux, dont ceux de l’Imperial College, afin qu’ils développent et expérimentent en Afrique la dissémination de moustiques génétiquement modifiés.

Le lundi 1er juillet 2019, le premier essai grandeur nature a eu lieu au Burkina Faso : à cette occasion, 6 400 moustiques mâles stériles ont été lâchés dans le village de Bana, dans le but d’observer le comportement des mutants dans les environs.

Si l’opération réussit, feu vert sera donné au forçage génétique sur ce territoire. Tout n’est qu’une question de temps.

Sur place, les Burkinabés se révoltent d’être pris pour des cobayes par les firmes étrangères et les prétendues fondations philanthropiques. Pour eux, ces expériences pourraient conduire les moustiques à développer de nouvelles résistances, et créeront de facto un « vide écologique » irréversible.

Peu informés, jamais consultés, les habitants des villages avoisinants sont tout bonnement évincés par la fondation, qui ne semble pas avoir prévu de plan de secours et compte sur la docilité de la population.

De manière plus large, les Burkinabés dénoncent le fait que de telles expérimentations — à l’égal du coton BT de Monsanto — n’ont pour objectif que de déposséder les gens de leur terre et de leur santé en les rendant dépendants à des technologies qu’ils ne peuvent produire. Les semences OGM, par exemple, détruisent peu à peu des systèmes alimentaires durables reposant sur l’agro-écologie et les semences paysannes.

Quant aux projets de forçage génétique, voilà la stratégie : prouver le bien-fondé de la technologie par une première utilisation contre un fléau épidémique, puis médiatiser les bénéfices afin d’obtenir l’approbation de la population, qui ne s’opposera plus à l’ouverture de nouveaux marchés.

Sinon, pourquoi une fondation philanthropique dépenserait des millions dans le déploiement d’une technique incertaine et dangereuse, tout en ignorant qu’un remède à base de plante existe déjà et a prouvé maintes fois son efficacité ?

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Une manipulation génétique au lieu de remède à base de plantes

L’Artemisia est une espèce de plantes herbacées poussant très facilement, notamment en Afrique. Outre le fait que les agriculteurs locaux pourraient en tirer un revenu en la cultivant, l’une des vertus les plus connues de l’Artemisia est de fournir, lorsqu’elle est bue en tisane, un remède contre les parasites du paludisme plus efficace que les médicaments de synthèse.

Or, cette plante est strictement interdite dans de très nombreux pays, comme la France ou la Belgique (sans aucune explication), est désapprouvée par l’Organisation mondiale de la santé et peine à s’implanter sur les territoires les plus exposés à la maladie, très dépendants des médicaments fabriqués par les firmes étrangères. Pourquoi diable utiliserait-on une plante millénaire quand une solution technologique est à portée de main ?

Autre exemple d’application du forçage génétique. En juillet 2016, la Nouvelle-Zélande a lancé un plan d’extermination de tous les mammifères nuisibles de son territoire. Surnommé « Predator Free 2050 », ce programme, le premier du monde en son genre, ambitionne de débarrasser le pays de tous les prédateurs introduits par les colons au XIXe siècle — hermines, belettes, rats, opossums, chats sauvages, furets — et qui tuent chaque année plus de 25 millions d’oiseaux indigènes, tels que le kiwi, emblème national dont il ne reste que 70 000 individus, ou le kākāpō — deux espèces d’oiseaux qui ne peuvent pas voler, puisqu’elles ont toujours vécu en l’absence de prédateurs.

Pour mettre en œuvre son projet, le gouvernement néo-zélandais envisage également de modifier les gènes des espèces cibles afin de les rendre stériles.

La lutte antivectorielle n’est qu’une manière d’ouvrir des marchés bien plus larges et juteux, comme l’agriculture. Selon Mamadou Goita, directeur de l’Institut malien pour la recherche et la promotion des alternatives au développement, cité par le « Journal de l’environnement » :

« on entre par la porte de la maladie, mais le paludisme n’est pas l’objectif final : il s’agit d’examiner la législation, de scruter la réaction des populations et au final d’atteindre le dispositif de production agricole ».

C’est la fabrique du consentement.

Or, nous ignorons totalement les conséquences que pourrait avoir sur la vie et l’environnement le forçage génétique qui, comme toute innovation, est appliqué avant d’être étudié et compris. Sans compter les usages militaires et belliqueux de cette technologie, qu’on ne peut même imaginer, il est possible qu’une mauvaise séquence d’ADN ou un gène étranger soit introduit dans la construction génétique d’une espèce modifiée : dans ce cas, ce mauvais gène se répandrait, sans que personne ne soit capable de l’arrêter.

D’autre part, rien ne dit qu’une espèce modifiée pour être plus résistante ne devienne elle-même endémique et ne colonise les espaces autrefois occupés par d’autres plantes, qui nécessiteraient elles-mêmes une intervention humaine infinie.

Enfin, l’ADN fonctionnant comme un tout, des mutations imprévues pourraient profiter de la présence du gène forcé, créant ou renforçant des caractéristiques indésirables chez les espèces ciblées, qui pourraient à leur tour les communiquer à d’autres populations, par le simple fait de la reproduction. Dans tous les cas de figures, les risques de telles manipulations d’apprentis sorciers sur la biodiversité sont inappréciables et dangereux. Nous devons nous efforcer d’y mettre fin.

Source : https://lareleveetlapeste.fr/la-technologie-de-lextinction-le-forcage-genetique/



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