A la lumière de l’Histoire biblique, le nomadisme est une dégénérescence culturelle

Photo par Bunyuen Suksaneh

Le peuple qui a oublié le temps (et bien d’autres choses).

par David Catchpoole 
traduit par Paulin et Claire Bédard pour Lumière sur mon sentier

Les tribus isolées de chasseurs-cueilleurs sont souvent considérées en Occident comme primitives (pré-agricoles), comme des reliques “pas encore complètement évoluées” de l’âge de pierre1,2. Ces gens sont souvent surnommés “les peuples que le temps a oubliés”—un concept largement répandu, même parmi ceux qui ne sont pas familiers avec le roman classique écrit par Edgar Rice Burrough en 1924 (ou avec le film Le Continent oublié produit par Hollywood en 1977).3

Cependant, confrontés à de nouvelles données intrigantes, les anthropologues sont dans l’obligation de revoir complètement le stéréotype voulant que les “mondes primitifs” soient composés de “peuples perdus dans le temps”.4

Les Mlabri—“Le peuple des feuilles jaunes”

Parcourant les montagnes couvertes de forêts dans certaines parties du nord de la Thaïlande et de l’ouest du Laos, le peuple mlabri a été “découvert” pour la première fois par des Européens en 1936. Ils ne pratiquaient aucune forme d’agriculture; ils chassaient, plutôt, et cherchaient la nourriture poussant à l’état sauvage dans la jungle—les seuls chasseurs-cueilleurs de la région.

Photos par Bunyuen Suksaneh

 

Les Mlabri vivaient en nomades dans la forêt, se déplaçant fréquemment et laissant rarement aux étrangers l’occasion de les apercevoir. Cependant, le peuple thaïlandais était au courant de leur existence et les appelait Phaw Tong Luang— “le peuple des feuilles jaunes”.5 On leur avait donné ce nom parce qu’après environ une semaine, lorsque les feuilles jaunissaient, ils abandonnaient leurs demeures temporaires construites avec des tiges de bambous et recouvertes de feuilles de bananiers servant de toit.

Leur mode de vie énigmatique a amené les anthropologues à conclure que les Mlabri “avaient traversé les âges sans changement”, perpétuant une culture “datant d’avant l’apparition de l’agriculture”. Bref, les scientifiques considéraient que les Mlabri étaient des “reliques de l’âge de pierre”.6

Mais une des tribus voisines vivant dans les collines—les Tin Prai, un peuple agricole—ont une version différente de l’origine des Mlabri.

La “légende” des Tin Prai—un garçon et une fille chassés en aval de la rivière

Photo par Refugees International

Les Tin Prai racontent une histoire, qu’ils se transmettent de génération en génération, expliquant l’origine de leurs voisins chasseurs-cueilleurs si secrets.

Les Tin Prai disent qu’il y a plusieurs centaines d’années ils ont banni deux des jeunes enfants de leur communauté de fermiers, les chassant en aval de la rivière sur un radeau. Les enfants—un garçon et une fille—ont survécu et se sont enfuis dans la jungle. Ils sont demeurés en vie en cueillant les “fruits de la forêt” et en chassant ce qu’ils pouvaient—et, lorsque le temps est venu, ils ont eu des enfants. C’est ainsi que, selon les Tin Prai, le garçon et la fille bannis sont devenus les fondateurs de la tribu Mlabri.

Mais ce récit a été qualifié par d’autres de “mythe tribal”—il ne correspondait tout simplement pas à la progression évolutionniste reconnue du développement des cultures humaines, c’est-à-dire à l’idée que “les chasseurs-cueilleurs précèdent les agriculteurs et non pas l’inverse”.7

L’ADN mlabri: “étonnant”

De nos jours, les Mlabri forment un groupe d’environ 300 personnes et sont considérés comme “un peuple vulnérable dont le mode de vie et la langue sont menacés”.7,8 Une grande partie du territoire qu’ils parcouraient à l’origine est maintenant “perdue” à cause de l’exploitation forestière et des fermes qui empiètent sur la forêt.

Photo par Mikel Flamm, .

Comme leurs coutumes leur interdisent de posséder un terrain ou une terre, de nombreux Mlabris vivotent en travaillant comme ouvriers pour les tribus voisines qui vivent de l’agriculture dans les collines.
Une équipe internationale d’anthropologues9, espérant “découvrir des indices de leurs origines selon le schéma évolutionniste”, ont entrepris de comparer la diversité génétique des Mlabri à celle de six tribus agricoles des collines.10,11

Les résultats obtenus sont “remarquables”. Comme le rapportait ScienceNOW: “Étonnamment, tout l’ADN mitochondrial des Mlabri s’est révélé identique—une absence totale de variation, jamais observée dans aucune autre population humaine.”6 De façon similaire, la diversité génétique du chromosome Y et des autosomes des Mlabri était “elle aussi extraordinairement réduite”.

Les implications? Parce que les Mlabri sont génétiquement “pratiquement identiques, leur patrimoine héréditaire doit être très limité”.7 En fait, les chercheurs sont arrivés à la conclusion que la population mlabri descend d’une seule femme et de un à quatre hommes tout au plus, ayant vécu il y a environ 500 à 800 ans. À cause des similarités dans la constitution génétique des Mlabri et des tribus agricoles des collines, les chercheurs concluent que “l’explication la plus probable de l’origine des Mlabri est qu’un événement extrême dans un groupe agricole aurait conduit à la fondation de ce groupe, qui aurait par la suite adopté le mode de vie des chasseurs-cueilleurs.”11 Et ce groupe agricole avoisinant était “tout au moins étroitement apparenté aux Tin Prai d’aujourd’hui”.7

Une “étrange histoire” pas si étrange!

De plus, des études linguistiques ont démontré que la langue des Mlabri est apparentée à celle des Tin Prai—les deux langues ayant probablement divergé il y a quelques centaines d’années.7,11

C’est ainsi que “l’étrange histoire” des Tin Prai (telle qu’elle avait été surnommée lors d’un bulletin de nouvelles7) s’avère correspondre aux faits. Il aurait été préférable de la considérer comme la transmission d’un récit de témoins oculaires. Les Mlabri n’étaient pas “un peuple pré-agricole oublié par le temps”. Ils étaient plutôt des gens qui, ayant dû chercher à survivre dans la jungle et n’ayant plus accès aux semences permettant de faire des récoltes ni au réseau de soutien de la communauté, avaient oublié le savoir-faire nécessaire à la vie de fermier12, de même que de nombreuses autres choses connues de leurs ancêtres—la fabrication de vêtements, la construction d’habitations, les lois sociales, etc.

Étant donné le jeune âge des fondateurs, il est compréhensible que cette sagesse, normalement transmise par les aînés, soit déficiente. Les Tin Prai disent que cela explique également “pourquoi les Mlabri sont si enfantins” et “pourquoi ils parlent si lentement”. 7,13 Cela explique aussi pourquoi la société Mlabri était vulnérable à des idées définitivement peu judicieuses, comme par exemple leur coutume leur interdisant de posséder un terrain.14 Une telle coutume ne pouvait que les condamner à une vie d’ouvriers mal rémunérés et à la pauvreté.

“Réversion culturelle”?

Photo par Mikel Flamm,